Insolite : Xavier Niel de Free-Mobile, prend-il les Français pour des c… ?

Date 19/1/2012 14:00:00 | Sujet : Insolite

Selon une étude du cabinet GFK, et sur la base de l’offre décrite par Xavier Niel devant les médias, tout aussi insolite qu'il y soit, 8 Français sur 10 ont l’intention, à court ou moyen terme, de souscrire à l’offre de téléphonie mobile de Free.


Mais comment s’y prend Free pour monter son offre illimitée à 19,99 € / mois (15,99 € pour les abonnés ADSL Free) et son forfait 60 minutes / 60 SMS pour 2 € / mois (0 pour les abonnés ADSL Free) ?

Quelles seront les incidences cette nouvelle offre sur le marché des télécommunications en France ? Et que se passera-t-il si les Français interrogés confirment par des actes leurs intentions de basculer chez Free mobile ?

Free mobile est financé par ses concurrents via la terminaison d’appel

Free mobile compte d’abord sur le prix de la terminaison d’appel dont il va bénéficier pendant sa période de lancement. Qu’est-ce que la terminaison d’appel ? Lorsque l’abonné d’un opérateur A appelle un abonné chez un opérateur B, l’opérateur B facture à l’opérateur A des frais d’interconnexion, ou terminaison d’appel. Or, jusqu’au 31 décembre 2013, Free mobile pourra facturer la terminaison d’appel plus cher que ses concurrents, selon une décision de l’Arcep mise en consultation jusqu’au 27 janvier2.

Pendant les 6 premiers mois, Free mobile pourra facturer 2,4 centimes d’euro par minute pour la terminaison d’appel, soit 0,9 centimes de plus que ses concurrents (Free comptait sur un tarif plus généreux en sa faveur, de 3,4 centimes d’euros / mn3).

Pour une 1 heure de conversation mobile par jour, répartie à 50/50 entre les appels entrants (provenant d’un autre opérateur que Free mobile) et les appels sortants, un abonné Free mobile permettra ainsi à son opérateur de gagner 4,32 € HT par mois (8 heures, soit 480 minutes x 0,9 centimes d’euros), financés par les autres opérateurs, sur décision du régulateur. La prétendue « concurrence libre et non faussée » impose en effet aux opérateurs en place de financer l’installation de leurs concurrents. Cette faveur n’est cependant pas définitive, et la terminaison d’appel progressivement ramenée au tarif commun pourra obliger Free mobile à revoir ses tarifs dans le futur.

Mais si tous les clients passent à Free mobile, le système ne marche plus, et c’est bien pourquoi l’offre Free mobile est limitée à 3 millions de clients.

Officiellement Free mobile couvre à ce jour que 27 % de la population avec son propre réseau4, le reste de son trafic étant assuré par le réseau d’Orange, avec lequel il a signé un accord d’itinérance5. Ses investissements dans le réseau sont donc moindres que ceux des autres opérateurs.

Le réseau Free mobile est-il réellement activé ?

La polémique gronde depuis deux jours6, et les équipes techniques d’Orange s’interrogent : le réseau de Free mobile, supposé écouler 27 % des communications, ne serait pas activé, au moins pas dans son intégralité. L’essentiel du trafic est donc écoulé par le réseau d’Orange, mais pas dans des proportions conformes à celles prévues par l’Arcep lors de l’attribution de la licence 3G. Free a-t-il abusé l’Arcep lors des tests de couverture ? Il est vrai qu’il existe des techniques pour ouvrir un réseau en couverture, mais sans avoir la capacité à écouler le trafic…

Et quelle est alors la justification du différentiel de terminaison d’appel en faveur de Free mobile ? Le nouvel entrant pourrait facturer à ses concurrents, y compris Orange, 0,9 centimes par minute de plus au titre de la terminaison d’appel… rendue par le réseau d’Orange ?

La décision mise en consultation par l’Arcep, qui offre le même avantage à deux « full MVNO », Lycamobile (sur le réseau Bouygues Télécom) et Oméa Télécom (sur le réseau de SFR), semble faire fi des investissements dans le réseau pour accorder des avantages tarifaires.

Pourtant, les investissements nécessaires sont conséquents. Le profit moyen net après impôts des 3 opérateurs mobiles en place est de 8% du chiffre d’affaires. Sur une facture moyenne mensuelle mobile de 24 €7, il reste donc à l’opérateur 1,92 € par mois et par abonné pour financer les investissements futurs et rémunérer les actionnaires. En parallèle, le niveau de CAPEX (investissements corporels, hors licences ) pour le développement et le renouvellement des réseaux mobiles en France s’élève, pour France Télécom Orange, à 11% du chiffre d’affaires en 20108. C’est ce que Xavier Niel appelle « presser le citron » ! Mais en l’occurrence, on peut se demander qui le presse ?





Un commissionnement par l’opérateur de crédit ?

Les offres de Free mobile ne comportent pas de mobile, et n’intègrent donc aucune subvention du terminal, au contraire des offres proposées par les opérateurs en place.

Le site de Free mobile propose cependant des terminaux dans une boutique en ligne dont l’ouverture est annoncée pour le 24 janvier. Certains sont proposés avec une possibilité de paiement en 12 ou 24 mensualités, via un crédit renouvelable ou « revolving » (ces fameux crédits aux taux proches de l’usure qui génèrent tant de dossiers de surendettement) assuré par Crédit Agricole Consumer Finance9 (Sofinco, Finaref)10. Si l’offre de crédit est annoncée « sans frais », certains observateurs ont noté que les tarifs des mobiles ainsi proposés sont supérieurs aux tarifs constructeurs, de l’ordre de 14%11. Effectivement, dans ces conditions, on peut offrir un crédit « gratuit », et sans doute commissionner l’apporteur d’affaire qui amène de nouveaux moutons à l’abattoir du crédit renouvelable. Les informations actuellement disponibles sur le site ne permettent pas de connaître le prix du crédit, ni qui le prend en charge, comme c’est pourtant la loi12.

L’offre de crédit étant soumises aux conditions de la banque, on peut aussi se demander si ceux qui en ont le plus besoin économiquement parlant pourront vraiment en bénéficier : il est douteux que les bénéficia

du RSA soient éligibles aux offres de crédit sur les terminaux… même si Xavier Niel s’insurge contre le tarif social des autres opérateurs.13

Il restera la possibilité de faire désimlocker le terminal obtenu via la subvention du précédent opérateur : là encore, Free s’appuie sur le travail réalisé et financé par les acteurs en place, et si la route n’avait pas été ouverte au préalable, son système ne fonctionnerait pas !




De nouvelles délocalisations prévues… et à prévoir

Free mobile n’a pour le moment que quelques boutiques physiques, visiblement confidentielles car elles ne sont pas présentées sur le site de l’opérateur14 : l’objectif, c’est de tout traiter par téléphone depuis l’étranger, cela coûte évidemment moins cher. Ce service client par téléphone, sera assuré par trois prestataires externes (Teleperformance, Webhelp et Outsourcia), comme nous le dévoile le magazine « En contact15 », et plus précisément… au Maroc. Et ce même si quelques centres d’appels en France visent à masquer cette délocalisation massive.

Non seulement il y aura peu ou pas de création d’emplois en France pour le lancement de ce nouvel opérateur mobile, mais, pour aligner leurs prix en préservant leurs capacités d’investissement, les 3 autres opérateurs seront obligés de délocaliser aussi. L’arrivée de Free mobile se soldera donc plus vraisemblablement sur une perte d’au moins 10 000 emplois, que par la création de ceux qu’il avait promis16, et qui pour le moment ne sont pas au rendez-vous.

Mais pourquoi se gêner, puisque le cahier des charges du régulateur n’impose aucune obligation sur l’emploi lors des attributions de licences, comme nous l’avons si souvent dénoncé17, et en dépit de toutes les promesses gouvernementales de faire de l’emploi une priorité nationale.

Bouygues Télécom, qui jusqu’à présent gérait l’ensemble de son service client depuis la France, ne pourra plus le faire… d’autant que les avantages dont il bénéficiait sur la terminaison d’appel s’éteignent en même temps que Free mobile arrive sur le marché.

Nul besoin d’expliquer que l’Élysée a demandé à ce que les plans sociaux ou de départs volontaires soient repoussés au-delà de l’élection présidentielle…

Un lancement offert par le « buzz » média

Le lancement de l’offre Free mobile s’est effectué sans aucune publicité, grâce à un buzz médiatique exceptionnel, relayé par les réseaux sociaux.

L’habileté de Xavier Niel lui a permis de disposer d’un avantage concurrentiel dont aucun de ses concurrents n’a pu bénéficier, les autres opérateurs, et notamment Orange qui figure parmi les premiers annonceurs de France, payant leur publicité dans les médias. Et alors, diront les aficionados de Free, pourquoi payer quand on peut tout avoir à l’oeil ? Certes, mais une fois encore, si tout le monde fait comme Free, la presse, déjà bien mal en point, ne pourra plus se financer, et il faudra remplacer les journalistes par des bénévoles.

Certains n’ont pas hésité à comparer cette efficacité médiatique avec celle d’Apple et de Steve Jobs. Ce n’est pas mérité : Steve Jobs s’appuyait en effet sur une réelle innovation produit, alors que Xavier Niel s’est contenté de déverser la haine et l’insulte18, dans des proportions jamais vues jusqu’ici… sauf peut-être dans la bouche de certains politiques qui font campagne selon les mêmes procédés.

Est-il admissible que les personnels commerciaux des autres opérateurs, qui ne sont pas les décideurs des offres commerciales, se soient fait insulter par les clients, dans les boutiques et au téléphone19 ? Ce n’est pas le modèle de relation clients que nous défendons !

Un modèle de start-up

Soulignons enfin que si Free mobile échoue, que le volume d’abonnés stables ou la rentabilité attendue ne soient pas au rendez-vous20, Free, mieux valorisé par le marché que ses concurrents (sa capitalisation boursière est supérieure à son chiffre d’affaires), pourra procéder à des augmentations de capital supérieures à ses pertes opérationnelles… ou revendre l’activité une fois les clients capturés. Ce sera alors au successeur d’assumer les investissements nécessaires pour rendre le service promis… et l’augmentation des prix.

Qu’en sera-t-il au final de l’avantage tarifaire ?

Free n’est pas un acteur plus philanthrope que les autres. Sur l’offre elle-même, Que Choisir21 a déjà exprimé ses commentaires, et nous avons les mêmes analyses : tout client dont la consommation n’est pas exactement dans le profil de l’offre définie par Free mobile supportera des coûts supérieurs à ceux des opérateurs concurrents, comme par exemple sur le roaming ou des appels vers l’étranger hors forfait illimités. Les appels vers les mobiles (hors Amérique du Nord, où les appels entrants sur mobile sont toujours facturés à l’appelé, comme c’était le cas en France du temps de Radiocom 2000) ne sont pas inclus dans l’illimité. Et il est frappant de constater que l’Afrique du Nord ne fait pas partie des destinations en illimité sur les fixes22. Pour mieux « pigeonner » une certaine clientèle ?

Mais on peut aussi s’intéresser aux chiffres de Free sur le haut débit fixe. Xavier Niel d’ailleurs ne se cache pas d’un taux de marge brute (EBITDA) de 40%, le meilleur de tous les acteurs de l’ADSL en France.

On peut également constater que, si le tarif de base de son offre triple play est toujours de 29,99 € par mois, son ARPU (revenu mensuel moyen par client) était de 35 € en juin 2011 (38 € pour la box Révolution)23, soit sensiblement le même que celui d’Orange pour les clients triple play en France (35,50 € en juin 2011)24. Free prend donc autant d’argent à ses clients que ses concurrents. Et on peut donc douter de sa promesse de diviser la facture mobile des Français par deux : attendons quelques mois avant de faire les comptes.

Free mobile, la stratégie du coucou ?

C’est la conclusion que l’analyse impose, quand on regarde de plus près comment l’offre a été mise en place. C’est donc doublement inacceptable d’insulter tout le marché comme il l’a fait lorsqu’on utilise, à plein régime, tout ce que les autres ont déjà construit, pour s’installer dans la place. En ce sens, Free mobile constitue une parfaite illustration de l’exploitation maximale du dogme néolibéral de la concurrence exacerbée.

Surtout beaucoup de valeur(s) détruite(s) !

Malheureusement, l’expérience montre qu’un tel système conduit surtout à une destruction de valeur préjudiciable à l’ensemble de la société.

Comme nous l’avons vu, les opérateurs mobiles, contraints de baisser leurs tarifs s’ils ne veulent pas voir tous leurs clients claquer la porte, seront également contraints de s’aligner sur les autres paramètres : moins de service aux clients, plus de vente directe sur le web, délocalisation des emplois d’assistance par téléphone. Rappelons qu’en dépit des promesses faites lors de l’ouverture du marché des

télécommunications, ce secteur en forte croissance a perdu 32 000 emplois en 12 ans25. De nouveaux plans de suppression sont d’ores et déjà dans les cartons, simplement, ils ne sortiront qu’après les élections présidentielles.

Alors, oui, les tarifs de la téléphonie mobile baisseront plus rapidement que les seuls gains de productivité technologiques ne l’auraient offert. Mais à quel prix ?

Le consommateur y gagne aujourd’hui. Les salariés ont perdu. Demain les citoyens paieront.

Car ce n’est pas Xavier Niel qui financera les allocations chômage, ses nouveaux salariés seront au Maroc. Sans parler des insultes qui ont volé bas, dans les médias et dans les boutiques, créant de la tension entre les personnels de vente et les clients. Est-ce le modèle de société que veulent les Français ? Nous ne le croyons pas.





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