Le vote électronique est-il « mort-né » ?, Fabrice Fernandez, interview

Date 3/7/2013 13:00:00 | Sujet : Interview

Le vote électronique a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines... Nous sommes allés à la rencontre de Fabrice Fernandez, directeur associé de Kercia Solutions, éditeur de la solution logicielle de vote électronique AlphaVote pour comprendre si levote par Internet constitue un progrès indéniable en termes d’organisation des élections.


Suite à la polémique suscitée autour des suspicions de fraude lors des primaires UMP à Paris, il est nécessaire de prendre de la hauteur sur les points juridiques et techniques qui se sont avérés défaillants. Le vote électronique a été mis à mal : freins techniques, inscription possible jusqu’à la fin du scrutin, usurpation de l'identité du votant…

Une suite de cafouillages remettant en cause les principes de sécurité et de confidentialité prônés par Kercia Solutions et qui ne laissent pas insensible Fabrice Fernandez. Pour le fondateur et directeur associé, il est impératif de rétablir la vérité.

Alors, le vote électronique est-il mort ? Fabrice Fernandez nous explique comment les couacs électoraux lors de la primaire UMP auraient pu être évités et quels sont les incontournables à respecter dans le cadre d’élections dématérialisées.

Interview de Fabrice Fernandez, directeur associé de Kercia Solutions, éditeur de la solution de vote électronique par Internet Alphavote

1- Fabrice Fernandez, où en est-on aujourd’hui sur le concept du vote électronique ?

Le vote électronique par Internet (à ne pas confondre avec les machines à voter) est aujourd'hui très utilisé dans de nombreux cas, notamment en entreprises lors des élections professionnelles, lors de votes de résolutions aux d'assemblées générales ou encore pour les votes des délégués des sociétaires.

La grande majorité des prestataires sont sérieux et proposent des solutions fiables et éprouvées dans le temps. Ces solutions techniques répondent aux recommandations édictées par la CNIL et aux lois qui régissent les élections.

2- 31 mai 2013 – le 1er tour de la primaire UMP de Paris s’est ouvert sur fond de suspicion de fraude à l’usurpation d’identité des électeurs. Faille avérée puisque des non membres du parti politique ont pu inscrire des électeurs parisiens au scrutin simplement en connaissant leur nom, date de naissance et adresse. Effet de bourrage d’urne ? Comment cela aurait-il pu être évité ?

La confiance se construit progressivement avec du temps et de l'expérience.

Afin d’éviter tout risque d’usurpation d’identité, et en l’absence actuelle de moyen d’authentification forte généralisé comme la carte d’identité électronique, il aurait été préférable de rematérialiser la transmission des codes de vote par l’expédition d'un courrier postal au domicile de l’électeur, contenant les codes de vote.

Pour les militants, il aurait été profitable de procéder à cet envoi gratuitement et systématiquement.

Cela aurait contribué à :

 disposer d'un réservoir d'électeurs suffisant tout en véhiculant une image positive auprès des militants malmenés par les élections précédentes

 préserver l'identité du votant et son droit de vote

Ensuite, pour les non militants, le processus d'inscription aurait dû protéger les données des électeurs présents sur la liste électorale. Après le paiement, l'électeur inscrit reçoit ses codes de vote par courrier postal automatiquement et sans intervention humaine. Même en cas d'usurpation d'identité, on ne peut acquérir le droit de vote d'un électeur, à moins de lui fracturer sa boîte aux lettres bien évidemment…

Cette rematérialisation pourra être abandonnée lorsque des solutions permettront une identification sûre des électeurs. Pour prendre exemple, de nombreux français télé-déclarent leurs impôts depuis des années. Le projet avait connu une première expérience douloureuse parce que le système était trop compliqué pour le contribuable. Suite à quoi, le processus de

télé-déclaration a été réétudié, et en 2012 le nombre de télé-déclarants était de 12,8 millions, un chiffre en croissance de 5% (soit 1 contribuable sur 3).

3- Mettre en place un protocole strict et rigoureux semble donc incontournable pour garantir le respect des principes fondamentaux du vote électronique ?

Le premier devoir d'un prestataire est de garantir la sincérité du scrutin en respectant à la lettre le protocole pré-électoral. C'est la colonne vertébrale d'une élection. Mais, encore faut-il que ce protocole permette de se prémunir contre l’usurpation d’identité et le dévoilement d’informations personnelles. Et en matière de vote électronique, comme nous l’avons vu plus haut, c’est possible.

4- La confidentialité du vote est une caractéristique essentielle dans toute élection. Comment garantir le cryptage des bulletins ?

Comme souvent, le problème n'est pas l'outil, mais la manière dont on l'utilise !

La CNIL, dans sa recommandation sur le vote électronique, exige la mise en oeuvre d’un chiffrement du bulletin de vote sur le poste de l’électeur, au moment de son émission.

Certains prestataires, comme dans le cas du récent vote UMP, mettent en oeuvre cette recommandation à l’aide de technologies lourdes (java) qui malheureusement obligent l’installation d’un logiciel sur le poste de l’électeur, et entrainent des dysfonctionnements et des problèmes d’accès au vote dans de nombreux cas, au détriment de l’électeur. Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se produit. On apprend de ses erreurs : encore faut-il les admettre !

Il existe pourtant des solutions, moins évidentes à mettre en oeuvre par le prestataire, mais totalement transparentes pour l'électeur. Elles sont compatibles avec tout type de poste ou dispositif, sans intervention technique.

L'électeur ne doit jamais avoir à effectuer de manipulations techniques lorsqu'il souhaite voter. La procédure doit être évidente pour lui.

5- On sait la difficulté qu’ont les organisateurs d’élections à obtenir des taux de participation satisfaisants. De par votre expérience, la faible mobilisation des électeurs est-elle due à l’aspect nouveau et encore méconnu du vote électronique ? Que préconiseriez-vous pour que les choses changent ?

Tous les dossiers de vote sur lesquels nous sommes intervenus ont obtenu une participation plus importante que ce qui préexistait en vote traditionnel (jusqu’à doubler dans certains cas).

Le vote électronique par Internet, lorsqu’il est convenablement mené, entraine naturellement une augmentation de la participation. Du fait de la réduction importante de la logistique et de l’organisation nécessaire au scrutin, il peut être ouvert sur une période plus longue, laissant l’opportunité à chacun de voter, en fonction de ses disponibilités, depuis n’importe où, depuis n’importe quel dispositif relié à Internet, et ce de manière totalement sécurisée et anonyme.

De plus, un système de vote moderne se doit d’être multicanal, et ainsi offrir aux électeurs qui ne sont pas encore familiers avec l’usage d’Internet des moyens de vote alternatif, comme le vote par correspondance, tout en minimisant le coût de l’opération pour le client, en automatisant au maximum les traitements et en minimisant la complexité et le nombre des plis postaux.

Par ailleurs, la faible mobilisation des électeurs réside souvent dans l'absence de campagne de la part des candidats. Un système de vote électronique par Internet apporte une dimension nouvelle, aujourd'hui très peu exploitée. Les possibilités actuelles du web, et les outils de communication qui en découlent, offrent la possibilité aux candidats de faire campagne en portant ou en confrontant leurs idées avant le début des élections. Dans un tel cas, la véritable cause d’une mauvaise participation n’est pas l’outil, mais le manque d’implication des candidats dans leurs campagnes.

6- L’un des candidats en lice à la primaire UMP de Paris parlait d’un « système opaque et faillible ». Comment distinguer le vrai du faux ?

Aujourd'hui nous sommes navrés de voir que les prestataires au coeur de ces polémiques communiquent si peu. Sur internet, il y a de nombreuses contre-vérités et des grands silences qui à défaut d’une réponse factuelle, engendrent la méfiance des électeurs.

Toute la difficulté réside aujourd’hui dans l’obligation fondamentale de concilier anonymat du vote et sincérité des résultats. L’anonymat entraine l’impossibilité a posteriori de retracer l’ensemble des opérations ayant conduit au résultat, comme on pourrait le faire, par analogie, en pointant et vérifiant chaque mouvement ayant conduit à un solde au pied d’un relevé de compte bancaire.

Les systèmes de vote électroniques répondent aux exigences techniques et organisationnelles qui leur sont imposées par les textes de lois et les recommandations de la CNIL en la matière. Tout prestataire a l’obligation de faire expertiser régulièrement son système par un organisme indépendant, accrédité par la CNIL, et d’apporter avec le maximum de diligence à son client les précisions souhaitées sur le fonctionnement du système et sa manière de le contrôler au cours du scrutin.

Nous estimons qu’il est temps d'établir des normes techniques et organisationnelles très détaillées et précises en matière de vote électronique. Les prestataires devraient contribuer à sa mise en place. Cette norme devrait comporter l'obligation d'effectuer régulièrement des

audits pour garantir leur conformité à son égard. Elle devrait aussi obliger les prestataires à publier les rapports de ces audits, afin d’offrir une vérifiabilité maximale à chacun.

Nous estimons que c’est à ce prix que l’on pourra, grâce à cette transparence retrouvée, en finir une fois pour toute avec les arguments que vous citez.

De plus, cela obligera certains prestataires peu sérieux, qui profitent du manque de précision des recommandations actuelles pour ne pas tendre vers qualité et irréprochabilité, à s’adapter. Cela sera bénéfique pour la crédibilité de l’ensemble du marché du vote électronique.

La seule question à se poser sera : Etes-vous conforme à la norme ?

Les adeptes comme les détracteurs du vote électronique devraient donc prendre le temps de s’asseoir autour d’une table et réfléchir ensemble à l’élaboration de cette norme.

7- Le vote électronique suscite un fort engouement en Suisse. La Chancellerie fédérale a d’ailleurs pris les choses en main en menant des essais pilotes visant à développer une solution de vote par Internet valable pour tout le pays. Pourquoi pas en France ?

Il faut toujours s'inspirer des expériences positives. Nos amis Suisses nous montrent le chemin.

Comme souvent en France, nous avons la science. De nombreux chercheurs Français de renommée Internationale se sont penchés avec bienveillance sur le vote électronique notamment sur les deux questions centrales de l'identité et de la vérifiabilité (chacun doit être en mesure de vérifier la validité du scrutin et chaque électeur doit pouvoir vérifier que son vote a été pris en compte). Mais les choses mettent du temps à trouver leur place sur le terrain…


Propos recueillis par Caroline Kulko Cabinet Gtec – Markerting de l’édition logicielle





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