Big Brother a un nom : Ardoise et Ariane

Date 23/4/2008 13:50:00 | Sujet : Dossier

Interrogée récemment à propos du logiciel Ardoise, la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, avait répondu de façon péremptoire que ce logiciel ne présentait « aucun risque d’attenter à quelque liberté que ce soit… »

 

C’est rassurant, évidemment ......... Mais est-ce bien sûr ?

Ardoise est un nouveau logiciel de renseignement dont vont bientôt disposer les services de police et de gendarmerie. Il a pour finalité de créer des fiches informatiques qui seront consultables par les forces de l’ordre sur tout le territoire national.

Ardoise permet d’enregistrer les caractéristiques personnelles de toute personne entendue comme victime, témoin ou suspect, au cours d’une procédure.

Les agents chargés d’entrer les données devront renseigner la rubrique « état de la personne » et établir un profil de la personne en cliquant parmi les thèmes suivants : « homosexuel », « transsexuel », « handicapé », « sans domicile fixe », « personne se livrant à la prostitution », « travesti », « relation habituelle avec personne prostituée », « personne atteinte de troubles psychologiques », « usager de stupéfiants », « permanent syndical »…


Dès 2007, et sans attendre l’avis de la Cnil, la direction de la formation de la police nationale a entrepris de former les personnels à son utilisation – à terme cela concernera près de 90.000 employés des forces de l’ordre.

Trois associations – le Collectif contre l’homophobie, les Oubliés de la mémoire et FLAG ! (association de policiers gay et lesbiens) – ont écrit à la Cnil pour contester les rubriques utilisées par Ardoise. Pour le président du CCH, « cette pratique peut donner lieu à des dérives de sinistre mémoire »

Vraiment aucun risque d’attenter à quelque liberté que ce soit ?

Le Système de traitement des infractions constatées (le Stic)

Ardoise va servir à « alimenter » un autre fichier dénommé Ariane qui regroupera les deux fichiers actuellement utilisés par la police (Stic) et la gendarmerie (Judex).

Voici ce qu’écrivait un magistrat , il y a un an, à propos du Stic :

« L’immense fichier du Stic, légalisé par la loi n°2003 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure contient 4,7 millions de fiches de “mis en cause ” et 22,5 millions de victimes, et dont une bonne part ne sont pas mises à jour faute de contrôle par des procureurs de la République totalement impuissants.

Il a fallu un “programme d’apurement automatique” du STIC en octobre 2004 pour s’apercevoir que 1,2 millions de fiches de mis en cause n’avaient pas lieu d’être. C’est évidemment dommage pour ce million de citoyens qui a pu voir ainsi son sort aggravé s’il avait à faire à la justice ou ses chances compromises s’il faisait l’objet d’une enquête administrative à l’embauche.

Les erreurs sont légion. Quant aux non-lieux, relaxes ou acquittements qui peuvent être la suite d’une “infraction constatée”, n’y comptez pas, le fichier n’est pas fait pour les décisions de justice, d’ailleurs les magistrats qui sont chargés de le contrôler n’y ont même pas accès directement ! »

Vraiment aucun risque d’attenter à quelque liberté que ce soit ?


Vers un échange de données policières entre l’Europe et les Etats-Unis

L’Union européenne a donné, vendredi 18 avril, son feu vert à l’ouverture de négociations avec les Etats-Unis pour leur donner l’autorisation d’accès aux banques de données des polices de l’UE. Le but : permettre en contrepartie à tous les ressortissants des vingt-sept pays européens de se rendre aux Etats-Unis sans avoir besoin d’un visa (actuellement, douze pays de l’Union restent soumis au régime des visas).

 

Les Américains demandent, sans plus de précisions, un accès à certaines données du “système d’information Schengen”.

La ministre de l’intérieur française Michèle Alliot-Marie s’est déclarée ouverte à certaines demandes, tout en rappelant que « l’exigence de réciprocité est fondamentale ».

Vraiment aucun risque d’attenter à quelque liberté que ce soit ?

 

Croisement de fichiers nationaux

Lors du dernier conseil des ministres, le 16 avril 2008, le ministre du Budget, Eric Woerth, a présenté un décret créant la Délégation nationale de lutte contre la fraude (DNLF), qui doit notamment permettre une coordination des actions menées par les services de l’Etat et par les organismes sociaux pour “éradiquer la fraude”.

« Les échanges d’informations entre les différents organismes et services de contrôle ne sont pas suffisants » a-t-il déclaré mercredi lors d’une conférence de presse. Il a cité comme exemple la délivrance du RMI, dont seules les personnes résidant en France peuvent bénéficier : « un croisement avec les fichiers fiscaux de la DGI sur la taxe d’habitation empêchera les adresses fictives ».

La DNLF devra notamment permettre une collaboration entre des organismes sociaux comme les URSSAF ou la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et la Direction générale des impôts (DGI). Le communiqué officiel précise que l’une des missions de la DNLF sera de « favoriser le développement des échanges d’informations, l’interopérabilité et l’interconnexion des fichiers dans les conditions prévues par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. »

Vraiment aucun risque d’attenter à quelque liberté que ce soit ?


Croisement d’informations au niveau local

À l’échelon de la commune les échanges d’informations sont déjà en place, dans le domaine de la surveillance et de la répression. Laissons Serge Portelli exposer le nouveau rôle attribué au maire dans la loi dite de prévention de la délinquance de mars 2007.

« Plusieurs outils d’étroite surveillance ont pu ainsi être mis en place. Nous ne nous attacherons qu’à l’un d’entre eux car il préfigure, mieux que tout autre, le quadrillage social qui risque de se mettre en place : le nouveau maire-shérif auquel il ne sera plus possible d’opposer le secret professionnel.

 

Ce nouveau maire est au centre d’un dispositif très resserré et dispose de pouvoirs très vastes. Avec des mots qui rappellent la période de Vichy, il est créé un “conseil pour les droits et devoirs des familles” où siège évidemment le maire.

Ce dernier peut aussi créer un fichier des enfants ne respectant pas l’obligation scolaire, fichier “où sont enregistrées les données à caractère personnel relatives aux enfants en âge scolaire domiciliés dans la commune” (article 6).

« Mais c’est surtout le secret professionnel de tous les services sociaux qui vole en éclat.

« Le texte est clair. Il s’agit de l’article 5 de la loi (qui crée un article L.121-6-2 du code de l’action sociale et des familles). Il prévoit dans son dernier état, que “tout professionnel de l’action sociale” (ce qui est extrêmement vaste : assistant social, infirmière de PMI, inspecteur de la Ddass, éducateur de prévention spécialisée...) doit dénoncer au maire et au président du conseil général la situation d’une personne ou d’une famille qui s’aggrave et nécessite l’intervention de plusieurs professionnels. […]

« Le maire est ainsi rendu destinataire de toutes les informations concernant ces familles en difficulté. La vraie rupture est là : nous passons ainsi sans crier gare d’un système d’aide à un système de surveillance. Car le maire a une double casquette.

Il n’est pas seulement à la tête de services sociaux, il est aussi, selon les règles du code de procédure pénale, un officier de police judiciaire. Rappelons qu’aux termes du code de procédure pénale, “ont la qualité d’officiers de police judiciaire les maires et leurs adjoints...” (article 16), qu’ils sont chargés “de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs” (article 14).

Et le maire, comme tout officier de police judiciaire se doit de signaler les infractions qu’il constate au procureur de la République. Nous sommes donc en pleine confusion.

Le maire va pouvoir utiliser toutes les informations recueillies jusqu’alors confidentiellement par les travailleurs sociaux pour engager des poursuites ou faire mener des enquêtes.

Ce partage du secret professionnel avec le maire remet en cause l’essence même du métier de travailleur social ou d’assistante sociale. Ces professionnels ont absolument besoin de la confiance des jeunes et de leurs familles pour pouvoir les aider.

Si l’on sait qu’il n’y a plus de confidence possible et que tout peut remonter vers le maire, le travail social, éducatif, sanitaire devient impossible. »

Vraiment aucun risque d’attenter à quelque liberté que ce soit ?

Base élèves

Cette “application informatique” destinée à ficher tous les enfants d’âge scolaire est présentée comme un outil « d’aide à la gestion des élèves ». Elle concerne toutes les opérations relatives à l’inscription scolaire, l’admission, l’absentéisme ...

 

Son implantation a débuté en 2005 et elle devrait être généralisée à la rentrée de septembre 2009 où tous les directeurs d’école auront obligation de l’utiliser.

Dans un premier temps, il était demandé que des éléments tels que la nationalité, la date d’arrivée en France, la langue parlée à la maison ou la culture d’origine figurent dans ce fichier. Devant l’ampleur des protestations, l’administration a dû reculer.

Mais Sconet, l’équivalent de base élèves pour les collèges et lycées, continue à enregistrer la nationalité comme il le fait depuis des années...

De nombreux parents et enseignants continuent à contester ce fichage dont ils craignent les dérives : comme l’a déclaré Jean-Jacques Hazan, secrétaire général de la Fcpe (Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques), « quand on vient chercher les enfants de sans-papiers dans les classes ou que l’on parle de croiser des fichiers dans le cadre de la loi sur la prévention de la délinquance, cela ne donne pas confiance dans l’Administration ».

D’ailleurs, un décret d’application de la loi de prévention de la délinquance a été publié le 14 février 2008 pour organiser les échanges d’informations entre le maire, les autorités de l’Éducation nationale, et les organismes de versement des allocations familiales.


Vraiment aucun risque d’attenter à quelque liberté que ce soit ?

La Cnil

Le développement considérable des fichiers auquel nous assistons depuis quelques dizaines d’années nécessite l’existence d’un organisme de contrôle indépendant et doté de compétences étendues. C’est à cette intention que la loi du 6 janvier 1978 a créé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

 

Malheureusement, en juillet 2004, une révision de cette loi a privé la commission du pouvoir de contrôle a priori des fichiers publics : son avis sur la création d’un fichier de l’Etat est devenu purement consultatif.

De plus, en ce qui concerne le contrôle du fonctionnement de ces logiciels, la Cnil n’a pas été à la hauteur de la situation (il est vrai que l’Etat ne lui a pas facilité la tâche) : ce sont de « simples » citoyens qui ont alerté l’opinion en mai-juin 2007 sur l’absence de sécurisation de base élèves.

On peut même s’interroger sur la Cnil : est-elle bien dans son rôle quand elle fait la promotion de ce qu’elle a pour mission de contrôler, en publiant, le 10 avril dernier, un "mode d’emploi" de Base élèves ? [4]

Vraiment aucun risque d’attenter à quelque liberté que ce soit ?

En guise d’épilogue

Lundi 17 septembre 2007, un service de l’inspection académique du Haut-Rhin a demandé à chaque école du département de lui signaler les élèves sans papiers.

De très nombreux directeurs d’école ont immédiatement réagi en dénonçant une « démarche inacceptable » et en refusant de transmettre les informations demandées. La demande a été annulée le jour même.

Peut-on imaginer que, dans une telle situation, une “application informatique” comme Base élèves aurait su “ désobéir ” et refuser de répondre ?

Et constatons simplement que nos libertés ne sont respectées que si chacun d’entre nous décide de les défendre.





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