Au-delà des muscles : comprendre les troubles alimentaires chez les hommes

Certains hommes vivent mal à l’aise avec leur image corporelle, allant bien au-delà de la simple envie d’avoir des muscles définis ou impressionnants. Ils manifestent parfois des comportements proches de ceux des troubles du comportement alimentaire (TCA), tels que l’anorexie, la boulimie ou le trouble de l’alimentation incontrôlée, qui peut souvent conduire à l’obésité. Ce n’est pas seulement une question de vouloir être « plus gros » ou « plus musclé », mais derrière cette obsession pour le corps, se cache parfois un mal-être psychologique profond.

Dans cet article, nous explorerons un univers complexe marqué par la fragile identité masculine et les pressions culturelles exercées sur les hommes, avec pour objectif de mieux sensibiliser et informer le public. Grâce aux dernières études en épidémiologie et en clinique, nous mettrons en lumière comment ces troubles affectent aussi la population masculine, souvent dans l’ombre, sans être suffisamment repérés. Nous verrons comment les reconnaître, comment les traiter, et pourquoi il est crucial d’en parler pour favoriser une meilleure prise en charge.

Genre et troubles du comportement alimentaire

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont traditionnellement considérés comme relevant principalement des femmes, mais ils émergent de plus en plus comme un enjeu sérieux chez les hommes. Ces troubles regroupent des conditions telles que l’anorexie mentale, la boulimie ou le trouble de l’alimentation incontrôlée, toutes caractérisées par des comportements dysfonctionnels liés à l’alimentation, au poids et à la perception de son corps.

Cependant, chez les hommes, ces troubles sont souvent diagnostiqués tardivement ou sous-estimés, en raison de stéréotypes liés aux rôles de genre et du poids que la société leur attribue. Cela complique la recherche d’aide, tout en menant à une sous-représentation dans la recherche clinique ou les statistiques officielles. La prévalence des TCA chez les hommes, bien qu’elle reste inférieure à celle des femmes, est en croissance constante (Ziółkowska et Mroczkowska, 2020). On estime qu’environ 10 à 25 % des personnes souffrant d’anorexie ou de boulimie sont des hommes, tandis que le trouble de l’alimentation incontrôlée touche à parts égales les deux sexes.

Une étude menée au Royaume-Uni (Micali et al., 2013) indique que la prévalence de l’anorexie chez les hommes a doublé, passant de 5 % à 10 % en quelques décennies, tandis que la boulimie concerne environ 15 % d’entre eux. Le trouble de l’alimentation compulsive (binge eating disorder) est particulièrement répandu chez les hommes, avec une proportion oscillant entre 40 et 50 % des cas diagnostiqués.

Les différences entre hommes et femmes dans la survenue de ces troubles se retrouvent également dans les facteurs déclencheurs : chez les hommes, la pression pour obtenir un corps musclé ou athlétique est souvent prédominante, contrairement à la recherche de minceur qui domine chez les femmes. Même si ces données montrent un changement de perception, il est important de noter que les hommes cherchent encore beaucoup moins d’aide que les femmes, principalement à cause de la stigmatisation et des attentes sociales, qui tendent à limiter l’expression des émotions et à renforcer l’image d’un homme fort et compétitif. Il devient donc urgent d’accroître la sensibilisation pour mieux identifier ces troubles chez la population masculine et leur fournir le soutien nécessaire.

L’anorexie chez les hommes

L’anorexie mentale chez l’homme présente des caractéristiques proches de celles observées chez la femme : une restriction alimentaire très sévère, une distorsion de l’image corporelle et une peur intense de prendre du poids. Toutefois, une particularité souvent rencontrée chez certains hommes est une variante appelée la « reverse anorexia » ou vigoressie (Ziółkowska et Mroczkowska, 2020).

Dans ce cas, l’obsession ne concerne pas la minceur, mais plutôt la prise de masse musculaire. Ces hommes suivent souvent des régimes restrictifs et des programmes d’entraînement intensifs pour sculpter un physique musclé, défini et sans imperfections. Cette quête répond aux pressions culturelles qui valorisent un idéal masculin basé sur la force, la puissance et la virilité, qui contraste avec l’idéal féminin souvent associé à la minceur, bien que ce dernier commence à évoluer.

Chez certains, notamment ceux en lutte avec leur identité de genre ou leur image corporelle, l’anorexie peut aussi prendre une forme plus proche de celle que l’on retrouve chez les femmes. Selon l’étude de Bramon-Bosch (2019), le désir d’adopter une silhouette « plus féminine » peut aussi influencer la genèse et le maintien de la souffrance, illustrant la complexité des liens entre formes corporelles et identité.

La boulimie chez les hommes

La boulimie, ou boulimie nerveuse chez l’homme, se manifeste par des épisodes d’énormes prises alimentaires suivies de comportements compensatoires, comme le vomissement ou la prise de laxatifs. Cependant, il est souvent constaté que les hommes privilégient l’exercice physique excessif comme méthode pour lutter contre les excès alimentaires (Weltzin, 2021).

Il est également important de souligner que la boulimie semble être plus courante chez les hommes homosexuels ou bisexuels, par rapport à la population hétérosexuelle, ce qui soulève la question d’un lien entre orientation sexuelle et trouble alimentaire. Ce phénomène peut s’expliquer par une pression esthétiques accrues dans certains milieux sociaux ou communautaires, qui peut générer un double stigmate : d’un côté, les troubles alimentaires eux-mêmes, perçus comme « féminins », et de l’autre, l’orientations sexuelle, qui peut ajouter une dimension de jugement ou de marginalisation.

Selon diverses approches psychologiques, les composantes affectives jouent un rôle clé dans la genèse des TCA chez les hommes. L’insatisfaction du corps, la colère, la honte ou le sentiment d’inadéquation alimentent souvent le cercle vicieux de ces troubles, qui viennent renforcer la perception de soi comme « hors de contrôle » ou « inadapté » face aux normes sociales, médiatiques ou personnelles. La relation trouble entre nourriture et émotions conduit à des stratégies dysfonctionnelles, où le contrôle du poids et du physique devient une solution apparente pour apaiser des souffrances intimes inaudibles ou incomprises.

Le trouble de l’alimentation compulsive (binge eating disorder)

Le trouble de l’alimentation incontrôlée, ou binge eating disorder (BED), est plus répandu qu’on ne le pense, et il dissimule souvent une souffrance émotionnelle profonde. Il ne s’agit pas simplement de faim excessive, mais d’un mécanisme pour faire face au stress, à l’angoisse, la colère ou la tristesse.

Chez les hommes, le BED se traduit par des épisodes d’énormes crises d’alimentation, sans pour autant recourir à des comportements compensatoires comme le vomissement. Ce qui expose ces personnes à un risque accru d’obésité, avec toutes ses complications : maladies cardiovasculaires, diabète, hypertension artérielle.

Selon Weltzin (2021), même si la prévalence du BED est similaire chez les hommes et chez les femmes, il est fréquent que les hommes n’osent pas demander de l’aide, car certains comportements problématiques ne sont pas perçus comme anormaux dans leur environnement ou dans leur conception de la masculinité. Cela complique le diagnostic précoce et retarde la prise en charge.

Ogains, un grand nombre d’hommes se tournent vers des spécialistes en nutrition ou en perte de poids pour mincir, sans nécessairement aborder la complexité émotionnelle et comportementale qui se cache derrière le trouble. Ils recherchent une solution facile à leur mal-être, souvent en ignorant que leurs comportements dissimulent des souffrances affectives profondes, voire inconscientes.

Facteurs de risque chez les hommes

Les causes qui mènent certains hommes à développer un trouble alimentaire sont multiples et souvent cumulatives. Parmi elles, on retrouve :

  • Facteurs socioculturels : Les pressions liées à la masculinité et aux idéaux esthétiques jouent un rôle central dans l’émergence des TCA chez les hommes. La norme sociale valorise souvent des physiques musclés, puissants, suggérant une idée d’un homme capable d’assumer toutes ses responsabilités et de projeter une image de force. Cette pression conduit certains à adopter des comportements extrêmes afin d’atteindre cet idéal, parfois de manière dangereuse et obsessionnelle.
  • Facteurs médiatiques : La représentation de la silhouette masculine dans les médias influe fortement sur la perception de soi. La sur-exposition à des images irréalistes de corps parfaits, souvent retouchés ou idéalisés, contribue à nourrir un sentiment d’insatisfaction et d’insécurité, pouvant déboucher sur des troubles alimentaires ou une obsession pour le sport et la musculation (Carrillo, 2019).
  • Facteurs psychologiques : L’anxiété, la faible estime de soi, et le sentiment de vide ou d’abandon jouent un rôle clé dans l’émergence de ces troubles. Des événements comme une rupture sentimentale, un échec professionnel ou une insatisfaction dans la vie sexuelle peuvent renforcer le mal-être, conduisant certains à rechercher dans le contrôle de leur corps un refuge ou une preuve de leur valeur.

Manifestations spécifiques des troubles chez les hommes

Parmi les principales manifestations physiques ou comportementales de ces troubles chez les hommes figurent la dismorphie musculaire et le complexe d’Adonis.

Ces deux phénomènes sont étroitement liés au développement de troubles alimentaires masculins. La quête obsessionnelle de la perfection physique pousse de nombreux hommes à adopter des comportements alimentaires désordonnés, motivés par le désir d’atteindre des standards esthétiques irréalisables, orientant aussi leur succès personnel et leur confiance en eux (Pope, 2000).

La dismorphie musculaire

Elle se traduit par une fixation extrême sur la croissance musculaire, faisant que certains hommes se voient insuffisamment musclés, malgré une musculature déjà développée. Cette obsession mène souvent à des comportements à risques, comme la consommation excessive de stéroïdes ou d’autres anabolisants pour augmenter leur volume musculaire (Dakanalis, 2020).

Ces pratiques présentent de graves dangers pour la santé physique (troubles humeurs, dépendances, etc.). Les magazines spécialisés en fitness ou en mode masculine illustrent régulièrement cette tendance, en montrant des hommes hypermusclés comme figure de réussite idéale. Cette mise en scène médiatique alimente et normalise encore davantage l’obsession pour la muscolosité extrême, avec ses risques, notamment l’abus de substances telles que les stéroïdes et autres produits dopants.

Le complexe d’Adonis

Ce phénomène désigne une obsession pour la beauté et la perfection physique masculine, avec une recherche constante d’un corps extrêmement musclé et esthétique. La couverture des magazines (Pope, 2000) y participe largement, représentant des hommes avec des physiques sculptés, souvent associés à une sexualité vive, une indépendance affirmée et une absence d’émotions apparentes, comme des symboles de réussite et de virilité.

Les recherches mettent en évidence que cette obsession de la beauté est profondément enracinée dans les normes culturelles qui associent la virilité à l’apparence extérieure. Les hommes tentent d’atteindre cet idéal par des régimes draconiens, des entraînements intensifs et parfois dangereux, dans une quête pour écarter le sentiment d’inadéquation ou de faiblesse perçu comme une menace à leur identité masculine.

Conséquences des troubles du comportement alimentaire chez les hommes

Les effets des TCA chez les hommes sont souvent graves, tant sur le plan physique que psychologique. La malnutrition, engendrée par les restrictions ou les crises d’hyperphagie, peut entraîner des troubles hormonaux, la perte de la libido et des dysfonctions érectiles, liés à la chute du taux de testosterone (Dakanalis, 2020).

L’usage abusif de stéroïdes, souvent en lien avec la dismorphie musculaire, représente également un danger majeur, pouvant provoquer des lésions graves au foie, aux reins, et au cœur. Ces substances peuvent entraîner la survenue d’arythmies, une hypertension ou une insuffisance cardiaque, mettant gravement en danger la santé.

Sur le plan psychologique, ces troubles engendrent fréquemment de l’anxiété, un sentiment de vide, l’isolement social ou la dépression. La souffrance se déploie rapidement, accentuée par la pression culturelle pour rester musclé, viril et performant dans tous les domaines. La société actuelle, avec son obsession pour l’apparence, constitue un terreau fertile pour l’aggravation de ces problèmes.

Diagnostic et approche thérapeutique

Pour traiter efficacement les TCA chez l’homme, il est essentiel de recourir à des stratégies adaptées, sensibles au genre. La thérapie psychologique, principalement la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), vise à remettre en question et à modifier les croyances déformées concernant le poids, l’image corporelle et la masculinité.

Cependant, un obstacle majeur réside dans l’egosyntonicité des symptômes : les hommes voient souvent leurs comportements problématiques, comme la pratique excessive de sport ou l’usage de substances, comme une partie intégrante de leur identité masculine (Drummond, 2020). Cela rend plus difficile la reconnaissance du besoin de changer.

Du côté médical, les médicaments comme les antidépresseurs ou les stabilisateurs de l’humeur sont parfois prescrits pour traiter les comorbidités psychologiques, telles que l’anxiété ou la dépression, associées à ces troubles. Pourtant, la prise en charge doit privilégier une approche multidisciplinaire, combinant thérapie psychologique, accompagnement nutritionnel et suivi médical pour traiter aussi les conséquences physiques et métaboliques du trouble.

Voir au-delà du physique

Il est fondamental de dépasser l’image extérieure pour comprendre la complexité des TCA masculins. Souvent, derrière une obsession apparente pour la forme, se trouvent une insatisfaction profonde, des troubles psychiques ou des problématiques liées à l’identité.

La société a encore du mal à reconnaître que les hommes aussi peuvent souffrir de troubles alimentaires, qu’il s’agisse d’anorexie, de boulimie ou de trouble de l’alimentation compulsive. Il est temps de dépasser le mythe du mâle fort et invulnérable, pour écouter, accompagner et soutenir ceux qui se battent en silence.

Il faut aussi prendre conscience de l’impact des normes culturelles que nous véhiculons, souvent sans en avoir conscience. La construction d’une société plus bienveillante, qui valorise l’amour de soi, l’acceptation et l’écoute, doit devenir une priorité. L’enjeu est de bâtir une culture de l’amour-propre, fondée sur la sincérité, le respect et un véritable respect de soi et des autres, au-delà des apparences, des muscles ou des symboles de virilité ou de réussite sociale.

Article pensé et écrit par :
Avatar de Jerry Guirault
Laisser un commentaire

trois × un =