Évaluation et vérification dans l’enseignement à distance

L’enseignement à distance est désormais une composante de l’école française qui, malgré toutes les difficultés, a dû s’imposer brusquement pour faire ce qui n’était pas du tout prévu et sur l’efficience duquel personne n’aurait parié dans un laps de temps aussi court.

Je suis enseignante, et en ces journées chargées de fatigue et d’incertitude, il me semble que parmi les questions qui reviennent le plus fréquemment lors de nos réunions d’équipe — toujours, nécessairement, en visioconférence — se pose le nœud important des épreuves de vérification et de l’évaluation. Les activités menées à distance, hors du cadre scolaire, peuvent-elles être évaluées ? La réponse du Ministère de l’Éducation nationale a été claire: oui, et même il faut les évaluer. Dans la note publiée le 17 mars, on lit: « S’il faut réaliser une activité didactique à distance, car autrement la raison sociale de l’école elle-même serait remise en cause, il est aussi nécessaire de procéder à des activités d’évaluation constantes, selon les principes de rapidité et de transparence qui, conformément à la réglementation en vigueur, mais surtout du bon sens pédagogique, doivent guider toute activité d’évaluation ».

Mais, dans la pratique, comment être sûr, en travaillant à distance, que les élèves ne reçoivent pas d’aides, de conseils ou qu’ils ne remettent pas des devoirs réalisés par d’autres ? Comment être certain que l’évaluation ne soit pas faussée par ces éléments ? Dans l’empressement de trouver une solution, certains proposent de faire passer les épreuves sous une surveillance rigide via webcam, comme s’il n’existait mille façons d’éluder un contrôle qui est toujours contournable, même à l’école, et encore davantage à distance. Le tout, ensuite, transformerait l’école, qui doit promouvoir des valeurs comme la démocratie et la formation du citoyen, en une sorte d cauchemar autoritaire digne d’un film de science-fiction dystopique. On a le sentiment, en général, que cadrer le débat ainsi fait perdre de vue ce que devrait être le véritable objectif et le sens même de l’évaluation.

Un faux problème

En tant qu’enseignante, je constate que l’un des aspects les plus démotivants de la gestion actuelle de mon travail est précisément l’emphase croissante accordée à des dimensions purement administratives: à mesure que le travail s’accumule sous forme de « papier » (aujourd’hui surtout de données numériques), on diminue le temps consacré à ce que l’on appelle véritablement « faire école » — réfléchir, rechercher et expérimenter (ceux qui se passent d’un projet de dizaines de pages). Le problème, c’est que, sur le long terme, cette orientation finit par influencer notre perception de notre métier. Il s’agit peut-être d’un effet secondaire de ce que les psychologues désignent comme le « biais de saillance », qui nous pousse à surévaluer l’importance d’éléments auxquels nous sommes soumis en permanence: il y a tant d’aspects purement bureaucratiques dans le travail scolaire qu’il peut nous sembler qu’ils constituent l’essentiel. Or, fixer le cadre sur ce seul aspect, c’est regarder le doigt et non la lune, car l’évaluation — comme l’école — est bien plus que cela.

Pourquoi évaluons-nous ?

Interrogeons-nous d’abord sur la raison pour laquelle une partie du travail des enseignants consiste à évaluer les élèves. L’évaluation possède une valeur formative profonde: elle permet à nos élèves de comprendre ce qu’ils ont appris et ce qu’il faut encore renforcer; sur quels concepts il faut revenir et lesquels constituent déjà des points d’ancrage sur lesquels on peut s’appuyer pour progresser. Réduire l’évaluation à une prétendue échelle de valeur où l’on classe les élèves revient à vider de son sens ce que l’école cherche à produire. Envisager d’éliminer le problème des tentatives de tricherie en renonçant à évaluer les activités à distance reviendrait à soigner un mal en en créant un autre, car on passerait à côté d’une étape importante du processus formateur.

Fournir des outils pour comprendre et améliorer

Si l’on mise sur l’aspect formateur de l’évaluation, la tentation de se muer en arbitres munis d’un sifflet passe rapidement: ce n’est pas l’objectif ni la vocation que nous avons à remplir. Nous devons plutôt, avec notre classe — en présentiel comme à distance — clarifier quels sont les éléments sur lesquels reposent nos évaluations et pourquoi. Il s’agit notamment d’expliquer pourquoi certains aspects sont plus importants (par exemple la capacité à retraiter les contenus appris de manière personnelle et originale) et d’autres, en revanche, sont moins significatifs ou secondaires (l’erreur d’inattention lors de l’acquisition d’une procédure complexe). Et comme notre mission est avant tout de renforcer chez les élèves la capacité à penser par eux-mêmes et à développer leur esprit critique, toute demande d’explication sur nos évaluations et nos critères doit être accueillie avec enthousiasme et non avec suspicion. Dans la gestion pratique de l’enseignement à distance, où une partie du canal communicatif qui facilite ce processus manque, il est nécessaire de revoir notre manière habituelle de procéder.

Quelques aspects sur lesquels miser

Pour donner quelques orientations générales sur la gestion de la vérification et de l’évaluation, voici une proposition:

  • Rédéfinissons les paramètres utilisés jusqu’à présent, en informant élèves et familles sur les aspects qui seront privilégiés dans l’évaluation des activités réalisées à distance, par exemple la capacité à retraiter personnellement les contenus et à les utiliser de manière originale et créative.
  • Compte tenu de l’âge et de la maturité, travaillons à renforcer les capacités d’autovalualtion des élèves, en les invitant à exprimer leur jugement sur leurs travaux, selon des critères discutés et convenus. Comme le souligne la psychologie du leadership, renforcer le sentiment de « nous », la responsabilité partagée, favorisera l’appropriation des décisions et la non-triche, car chacun se sent partie prenante. La capacité à s’auto-évaluer est parmi les outils les plus utiles et importants que l’école peut transmettre.
  • Profitons de l’occasion pour approfondir des épreuves basées sur des « devoirs de réalité », c’est-à-dire des expériences de la vie quotidienne accessibles à la maison, afin de faciliter le contact avec ce qui nous entoure et de maintenir une dynamique de projet pour l’avenir; comme le soulignent les psychologues et les pédagogues, c’est l’un des moyens de réduire l’anxiété liée à l’isolement.
  • Si l’on estime utile, on peut proposer des épreuves qui permettent aux enfants et aux adolescents de mettre de l’ordre dans leurs pensées sur ce moment particulier, chargé d’angoisses non résolues, de questions à demi formulées et de préoccupations auxquelles tout le monde n’arrive pas à donner voix, de moments d’ennui et de démotivation. Dans ce type d’évaluation, les activités artistiques et créatives trouvent pleinement leur place.
  • Les plateformes d’enseignement à distance permettent d’organiser aisément des épreuves de vérification. En revanche, il convient de veiller à équilibrer les tests courts (pratiques à proposer, mais parfois arides et peu stimulants) avec d’autres épreuves auxquelles les élèves peuvent se rapporter avec davantage de liberté et de créativité.
  • Expérimentons les modes d’évaluation alternatifs rendus possibles par la technologie. Par exemple, permettre aux élèves de remettre des travaux sous forme multimédia, d’enregistrer des interventions, d’animer de courts débats, de monter ou d’animer des vidéos, dans les limites de leurs capacités, sans imposer mais en accompagnant ces formes par rapport aux formats plus traditionnels, selon les aptitudes et les possibilités de chacun.
  • Exploiter les outils de partage en ligne pour continuer à faire travailler les élèves en groupe, en les invitant à contribuer à des projets collectifs. Il s’agit d’épreuves qui auront la double valeur d’outils d’évaluation et de méthodes pour préserver le sens de la communauté en période de distanciation forcée.
  • La flexibilité des délais de remise est extrêmement importante, car toutes les familles ne disposent pas d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone en nombre suffisant pour tous les élèves. Il vaut mieux planifier les travaux sur des périodes plus longues, éventuellement avec des remises différenciées selon les besoins, et sans pénaliser excessivement les retards qui peuvent être dus à des facteurs hors du contrôle de l’élève.

J’espère qu’il est inutile de rappeler que l’évaluation ne se réduit pas à faire la moyenne arithmétique des résultats des épreuves individuelles. Dans cette phase délicate, où les difficultés pratiques se multiplient et où les fragilités liées à l’âge des enfants et des adolescents peuvent se manifester, il convient de calibrer avec soin le poids attribué à chaque épreuve dans l’évaluation globale, en privilégiant pour chaque élève les modalités qui correspondent le mieux à ses capacités. Rien de fondamentalement différent de ce que nous faisons habituellement, mais avec une attention accrue en une période difficile où les enfants et les adolescents ont plus que jamais besoin du soutien des enseignants.

Le sujet peut être étendu à la question de la « promotion sûre » pour cette année scolaire, objet d’un décret récent, probablement motivé par la situation sans précédent que vivent les élèves, avec un fardeau émotionnel qui peut peser sur leur rendement. Si l’on se concentre sur la valeur formative de l’évaluation, qui n’en est pas fondamentalement altérée, même ce volet se voit largement relativisé.

Article pensé et écrit par :
Avatar de Julie Ménard
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