Une réflexion sur les devoirs à la maison donnés par l’école et une étude sur le terrain pour écouter les enfants, afin de comprendre l’impact de ces devoirs sur leur temps libre
Mario Lodi, durant toute sa carrière d’éducateur, n’a jamais confié de devoirs à ses élèves pour la maison. Sa pédagogie privilégiait l’apprentissage en groupe dans la classe, considérant que l’éveil des enfants ne pouvait se faire en dehors du vécu quotidien. Pour lui, l’expérience concrète en classe était la pierre angulaire de l’éducation.
Avec la fermeture puis la réouverture progressive des écoles, le débat sur la nécessité et la pertinence des devoirs à la maison revient régulièrement, mais sans qu’une solution consensuelle émerge nécessairement. Lorsqu’on aborde cette problématique, il est important de garder à l’esprit la Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée par l’ONU en 1989, dont l’école constitue le cadre privilégié d’application. L’article 31 de cette Convention rappelle notamment que chaque enfant a droit au repos, au temps libre et au jeu, essentiels à un développement équilibré.
Mais dans quelle mesure ces droits sont réellement respectés et promus par le système scolaire français ?
Les directives ministérielles concernant l’attribution des devoirs à la maison
En France, l’institution scolaire est encadrée par l’Éducation nationale, qui dépend du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. La réglementation se traduit par divers décrets et circulaires régionales, tout en respectant une certaine autonomie des établissements. Chacun peut ainsi adapter ses pratiques en fonction de la réalité locale, notamment en matière d’attribution des devoirs.
Trois circulaires principales ont marqué le cadre réglementaire des devoirs :
- La circulaire de 1964, qui souligne que les devoirs doivent être une tâche essentielle mais limitée à un volume raisonnable ;
- La circulaire de 1965, indiquant qu’un excès de devoirs nuit à la santé des élèves ;
- La circulaire de 1969, recommandant d’éviter d’assigner des devoirs le jour suivant les fêtes ou les jours de repos, y compris le dimanche pour le lundi.
Il est également précisé que les devoirs donnés pour le lendemain ne doivent pas dépasser un certain volume, sachant que l’enseignement à temps plein en primaire représente environ 24 à 26 heures effectives par semaine, sauf exceptions.
L’objectif de ces directives est clair : délimiter le temps dédié à l’école de celui consacré aux activités personnelles, au repos ou à la détente, afin de respecter le droit des élèves à un équilibre harmonieux entre études et loisir.
Les devoirs à la maison : une question d’efficacité selon des données internationales
Le cœur de tout débat sur la quantité de devoirs à donner et leur impact porte aussi sur l’efficacité réelle de ces tâches pour compléter l’apprentissage, approfondir les connaissances ou développer des compétences personnelles chez l’élève.
Selon une étude menée par Ozicare Insurance en 2016, intitulée « Les devoirs à travers le monde », l’analyse de 12 pays montre qu’en France, un élève consacre en moyenne 8,7 heures par semaine aux devoirs. Cela positionne la France parmi les pays où la durée hebdomadaire de devoirs est relativement élevée, juste avant la Russie avec 9,7 heures. À l’inverse, la Finlande, célèbre pour son système éducatif performant, n’y consacre que 2,8 heures par semaine.
Une autre étude, celle de 2019 menée par l’enquête TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study), révèle qu’en France, le volume de devoirs est en moyenne 3,3 fois supérieur à celui de l’Angleterre, et environ 50% plus élevé que celui des écoles en Espagne ou en Finlande.
Le système éducatif finlandais est souvent cité en exemple comme l’un des meilleurs au monde. Selon l’évaluation PISA de 2018, les élèves finlandais obtiennent des résultats au second rang mondial, juste après les Estoniens, en compétences de lecture, mathématiques et sciences. De plus, le rapport de l’OCDE de 2022 indique que ces élèves se sentent moins stressés face aux évaluations et ont moins peur de faire des erreurs, grâce à un environnement scolaire moins prégilieux à la pression.
Un aspect particulièrement préoccupant selon l’American Psychological Association (APA) est que la surcharge de devoirs accentue les inégalités sociales. En effet, les enfants issus de milieux défavorisés, qui disposent souvent de moins de ressources (ordinateur, soutien parental, accompagnement privé), se retrouvent désavantagés dans la réalisation des devoirs, ce qui creuse le fossé éducatif.
Qu’en disent les élèves ? Résultats d’une enquête sur le terrain
La perception des devoirs est une réalité quotidienne pour les élèves de toutes les classes et de tous les niveaux. Cependant, peu de recherches prennent en compte directement la voix des enfants pour analyser leur vécu, leurs envies et leurs ressentis face à cette pratique.
Le projet international « La ville des enfants », mis en place par l’ISTC-CNR à Rome, place l’écoute des enfants au cœur de ses préoccupations. Dans cette optique, une équipe de chercheurs associée à des pédiatres de l’Association Culturelle des Pédiatres du Grand Rome a conçu un court questionnaire destiné à recueillir leur avis sur la charge de devoirs en dehors des heures de classe, notamment en après-midi et pendant le week-end. Ce sondage, anonymisé, a été distribué dans des cabinets pédiatriques à des enfants des écoles primaires de Rome et de sa périphérie, entre mars et mai 2023, dans 143 établissements.
Voici les questions posées et leur type de réponse :
- « Après l’école l’après-midi, as-tu des devoirs à faire pour le lendemain ? » — Réponses possibles : « jamais », « quelquefois », « presque toujours ».
- « Les devoirs que tu as le week-end, sont-ils… ? » — Réponses possibles : « peu ou pas du tout », « assez », « trop ».
Les 449 participants (dont la moyenne d’âge était de 8,24 ans, avec 57,8% de filles) ont donné les réponses suivantes : 40,4% ont indiqué qu’aucun devoir ne leur était demandé « jamais » pour le lendemain, tandis que 59,6% répartissent leur opinion entre « quelquefois » (29,6%) et « presque toujours » (29,6%).
Concernant le week-end, 22,6% des enfants déclarent avoir « peu ou pas du tout » de devoirs, 58,7% en ont « assez » et 18,7% en ont « trop ». Un autre constat intéressant est que quatre enfants sur dix en première année de primaire déclarent recevoir des devoirs à la maison, et cette proportion croit avec l’âge, les élèves de dernière année ayant reçu le plus de devoirs assignés.
Les devoirs à la maison occupent un temps que les enfants devraient plutôt investir dans d’autres activités essentielles à leur développement : la gestion de leur temps libre, la socialisation avec leurs pairs, surtout dans leur quartier, le partage familial et le jeu libre. Ces activités jouent un rôle crucial dans la santé mentale et physique des enfants et ne doivent pas être négligées.