Prévenir la psychose : diagnostic précoce et symptômes clés à connaître

Étude précoce des premiers signes d’une maladie mentale grave : la schizophrénie et sa prévention en France

Depuis toujours, la recherche sur l’identification précoce des maladies neuropsychologiques graves, telles que la schizophrénie, a occupé une place centrale dans le domaine de la santé mentale. L’objectif essentiel consiste à anticiper la survenue de la pathologie pour pouvoir la prévenir efficacement, plutôt que de simplement intervenir après son apparition manifeste.

De nombreux professionnels du secteur soulignent avec conviction l’importance de ne pas sous-estimer les signes et symptômes – souvent subtils ou en apparence mineurs – qui précèdent la véritable manifestation de la maladie. Ces premiers indicateurs, connus sous le nom de « prodromes », pourraient permettre d’intervenir avant que la maladie ne devienne pleinement installée. Pourtant, cette démarche se heurte à une difficulté majeure : la non-spécificité de ces signes, qui rend leur identification précise complexe et leur utilisation dans des stratégies de prévention efficaces encore difficile à mettre en œuvre (Di Cesare, 2018).

Au-delà de la simple approche thérapeutique, il devient nécessaire de repenser l’intégralité du cadre dans lequel on envisagedes patients à risque ou en début de maladie. Ce changement de perspective suppose une analyse approfondie des causes potentielles de la schizophrénie, des modalités insidieuses d’émergence, de son développement, de sa pérennisation ainsi que des soins et des services à mobiliser ou à développer pour mieux accompagner ces patients précocement.

Un premier effort primordial consiste à se concentrer sur tous ces facteurs qui, sans constituer encore une cause définitive, agissent comme éléments « catalyseurs de risque » (Huber, 1966 ; Huber et Gross, 1989 ; Gross, 1989 ; Gross & Huber, 2005). Il s’agit de comprendre ces éléments pour les repérer tôt et mettre en place des mesures préventives adaptées, avant la véritable phase d’espoir mais aussi de danger qu’est la psychose avérée.

Nous allons explorer cette problématique complexe en exposant certains concepts clés qui peuvent aider à mieux appréhender la prévention de la schizophrénie en France.

Durée de la psychose non traitée (DUP) : un indicateur crucial

L’acronyme DUP (Durée de la Psychose Non Trai­tée) désigne le laps de temps écoulé entre la première apparition des signes symptomatiques de la maladie et la première demande d’aide. En France, cette période est en moyenne d’environ deux ans. Une DUP prolongée correspond à un délai élevé avant la prise en charge, ce qui complexifie la réponse thérapeutique par la résistance accrue au traitement, un allongement du temps nécessaire à une rémission totale et l’intensification de la gravité des symptômes.

Il apparaît donc évident que la réduction systématique de la DUP constitue un objectif fondamental en prévention. Comment atteindre cet objectif ?

  1. En agissant sur tous les facteurs culturels et sociaux, notamment l’stigmatisation encore largement présente face aux troubles psychiques, qui freinent souvent la demande d’aide ;
  2. En développant l’accessibilité aux services de santé mentale, tout en portant une attention particulière à l’identification précoce des symptômes et des signes d’alerte (prodromes, états mentaux à risque).

Les défis et les risques liés à la détection précoce

Ce travail de détection précoce n’est pas sans difficultés lorsqu’il faut faire face à des situations où les symptômes ne sont pas encore clairement définis ou apparents. La phase prodromique, qui précède habituellement l’émergence complète de la psychose, représente une étape diagnostique très floue, notamment chez les adolescents. La question qui se pose est alors : comment distinguer ceux qui présenteront, parmi eux, un risque élevé de développer une psychose, de ceux qui ne franchiront pas ce cap ?

Il ne faut pas perdre de vue le risque non négligeable de procéder à des interventions injustifiées, susceptibles de générer stigmatisation et angoisses inutiles (Cocchi & Meneghelli, 2012). C’est un équilibre délicat que doivent maintenir les professionnels, entre la nécessité de repérer précocement les signaux faibles et celle de ne pas alarmer à tort les jeunes ou leurs familles.

De nombreux travaux ont été consacrés à élucider ces étapes souvent subtiles qui mènent à l’éclatement d’une crise psychotique. Ces modèles décrivent généralement trois phases émergentes, que nous décrirons ci-dessous.

Les trois phases précédant le début d’une psychose

Des études ont montré qu’un premier épisode psychotique (appelé « début » ou « premier épisode ») est ordinairement précédé d’une phase prodromique de durée variable, durant laquelle le sujet vit une transformation significative de son expérience de soi et de son rapport au monde (Schultze-Lutter et al., 2007). Ce parcours est souvent décomposé en trois étapes, distinguées par leur évolution progressive (Cocchi & Meneghelli, 2012).

  • La première étape est marquée par une augmentation de la tension émotionnelle : l’environnement, la pensée, les actions et même le corps apparaissent différents, avec des expériences telles que la dépersonnalisation, la perplexité ou encore la sensation de derealisation (symptômes peu spécifiques).
  • La seconde étape voit émerger des tentatives explicatives, visant à apaiser cette agitation : sensations anormales ou perturbantes, impression que ses pensées, son corps ou sa volonté sont manipulés ou étrangers, et la perception que le monde devient moins authentique. Ces symptômes, encore modérés, commencent à bifurquer vers la psychose.
  • La troisième étape consiste en la consolidation de croyances délirantes claires, qui régulent l’anxiété précédente. C’est à ce moment que apparaissent les premiers symptômes psychotiques véritablement affirmés.

Penser en prévention à ces différentes périodes rend évident que leur détection dès la première phase – lorsque les symptômes sont encore faibles, souvent imperceptibles – est un enjeu majeur, mais aussi un défi essentiel pour réduire l’incidence de la maladie.

Voici un résumé des travaux de spécialistes ayant approfondi ces étapes de transition :

Signes et symptômes prédictifs à surveiller de près

Sur la base de ces recherches, Schultze-Lutter et Koch ont développé un outil d’évaluation destiné à mesurer le risque de développement d’une psychose. Une version adaptée aux enfants et adolescents a également été conçue (Schultze-Lutter, Koch, 2009).

Le Schizophrenia Proneness Instrument, Child and Youth Version (SPI-CY) est une grille d’entretien qui explore quatre domaines clés, regroupant à la fois des signes spécifiques et plus généraux pouvant précéder une psychose.

Les quatre domaines évalués sont :

  1. Inertie : comprenant une baisse d’énergie, de motivation, de patience, ainsi qu’une moindre tolérance au stress, une perte d’intérêt pour le monde extérieur, une humeur dépressive passagère voire persistante, une hypersensibilité accrue…
  2. Distorsions de la perception : comme une difficulté à différencier images réelles et perceptions, une tendance à l’autoreferencement, des altérations visuelles, une hypersensibilité aux sons, des épisodes de derealisation ou des troubles proprioceptifs.
  3. Névrotisme : caractéristiques telles qu’une diminution du besoin de relations sociales, une plus grande réactivité émotionnelle, une sensibilité à la souffrance d’autrui, voire des phobies ou autres réactions anxieuses exacerbées.
  4. Altérations du raisonnement et de l’humeur : incluant une réduction de la capacité à prendre des décisions, des troubles de la mémoire, des difficultés à comprendre des symboles ou des concepts abstraits, des troubles du langage ou des blocages moteurs.

De plus, deux groupes de critères ont été identifiés pour affiner l’évaluation :

  • Les Symptômes Cognitifs et Perceptifs de Base (COPER), qui concernent la présence de certains signes mentaux subtils, souvent fluctuants ;
  • Les Critères à Risque Élevé (C-RE), correspondant à des troubles cognitifs ou perceptifs plus marqués, et qui présentent un fort pouvoir prédictif.

Une étape essentielle dans la prévention : le diagnostic précoce

Le développement de cet outil d’évaluation constitue une avancée majeure pour la prévention, car il permet de repérer rapidement les signes à risque, même faibles ou subtils. La structuration sous forme d’interview favorise également l’implication du jeune, qui peut ainsi vivre cette démarche comme une étape de soutien, d’écoute et de compréhension de sa propre expérience.

De plus, ces premières questions sur les symptômes de base préparent le terrain pour aborder de manière plus sereine des syndromes plus spécifiques, tels que hallucinations ou délires, tout en favorisant l’établissement d’une relation de confiance entre le professionnel et le patient.

Conclusion

Il apparaît clairement que la reconnaissance des signes de base constitue une clé dans la détection précoce des psychoses. Cependant, pour être efficace, cette approche doit s’adapter aux particularités du développement adolescent, en tenant compte des enjeux spécifiques liés à cette période de la vie.

Un intervention diagnostique précoce rigoureuse et fondée sur des données scientifiques solides représente un pilier essentiel pour réduire le nombre de cas évolutifs vers la psychose, tout en évitant la stigmatisation inutile.

Bibliographie

  • Cocchi, A., Meneghelli, A. (2012) L’intervention précoce entre pratique et recherche. Paris : Éditions Scientifiques Modernes.
  • Di Cesare, G. (2018) Début psychotique ou arrêt dans l’évolution : un dilemme complexe. Psychologie en France 1/2018, pp 32-48.
  • Gross, G. (1989) Les signes « fondamentaux » de la schizophrénie. Revue Psychiatrique Britannique, 7, supplément, 21-25.
  • Gross, G., Huber, G. (2005) Symptômes fondamentaux et phase prodromique de la schizophrénie. Neurological Psychiatry Brain Research, 12, 185-198.
  • Ruhrmann, S., Schultze-Lutter, F., Klosterkötter, J. (2010) Probablement à risque, mais clairement malade — Proposition d’intégration d’un trouble du spectre psychotique dans le DSM-V. Research on Schizophrenia; 120: 23-37.
  • Schultze-Lutter, F. (2009) Symptômes subjectifs de la schizophrénie. Méthodologies de recherche et pratique clinique : le concept de symptômes fondamentaux. Bulletin de la Schizophrénie. 35, 1, 5-8.
  • Schultze-Lutter, F., Koch, E. (2010) Échelle d’évaluation de la propension à la schizophrénie, version pour enfants et jeunes (SPI-CY). Rome : Giovanni Fioriti Editore.
  • Schultze-Lutter, F., Ruhrmann, S., Klosterkötter, J. (2006) La schizophrénie peut-elle être prédite sur le plan phénoménologique ? Dans : Johannessen JO, Martindale B, Cullberg J, éditeurs. L’évolution de la psychose. Différents stades, différentes approches thérapeutiques. Londres, New York : Routledge, p. 104-123.
Article pensé et écrit par :
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