La version mise à jour de l’évaluation scientifique la plus complète du système alimentaire: un régime durable déclenche des retombées positives en chaîne.
La manière dont nous produisons les aliments que nous consommons, nos choix alimentaires et nos gaspillages constituent une part essentielle des problèmes de santé, environnementaux et de justice sociale à l’échelle mondiale, mais l’alimentation peut aussi devenir le point de départ pour imaginer un monde meilleur.
On pourrait résumer ainsi le message du rapport 2025 de la Commission EAT Lancet, l’évaluation scientifique la plus complète des systèmes alimentaires mondiaux. Le document, une mise à jour par rapport à l’évaluation de 2019, donne les bases d’une alimentation saine et durable, capable de nourrir 9,6 milliards de personnes en 2050 sans franchir des seuils écologiques critiques pour la stabilité de notre planète.
Une approche pluridisciplinaire
La Commission EAT-Lancet sur l’Alimentation, la Planète, la Santé réunit des experts en agriculture, santé, économie, justice sociale, nutrition et sciences de l’environnement provenant de 17 pays du monde, dans le but d’informer le public et les décideurs sur comment transformer les systèmes alimentaires, afin de garantir une alimentation saine et durable pour la planète, compatible avec une population croissante et économiquement soutenable.
Dans le dernier rapport, publié en 2019, nous avions écrit ici: déjà dans ce document la Commission recommandait une alimentation majoritairement à base de produits végétaux mais sans exclure les protéines animales occasionnelles, comme solution idéale pour la santé et l’environnement. L’approche avait toutefois été critiquée par le passé pour son coût élevé, notamment pour les pays en développement qui souffrent de la manière dont la nourriture est aujourd’hui produite et distribuée.
Inégalités et dommages environnementaux
Partons des points sensibles: bien que la production alimentaire satisfasse les besoins caloriques de l’ensemble des habitants de la Terre, près de 3,7 milliards de personnes, soit un peu moins de la moitié de la population mondiale, n’ont aujourd’hui pas un accès constant et garanti à une alimentation saine, à un revenu stable ou à un environnement peu pollué dans lequel vivre en bonne santé.
Par ailleurs, la production de nourriture est l’une des principales pressions sur les écosystèmes, étant responsable d’environ 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et nous poussant dangereusement vers les seuils de points de non-retour pour la santé de la planète ( la nourriture est au cœur des enjeux du changement climatique, de la perte de biodiversité, de la surconsommation et de la détérioration des ressources hydriques, ainsi que de la diffusion de pesticides et d’antibiotiques.
D’un problème à une solution
Le régime principalement végétal, mais flexible et adaptable aux disponibilités alimentaires et aux traditions culturelles de chaque pays proposé par la Commission — la Planetary Health Diet (PHD), un régime pour la santé de l’homme et de la planète — pourrait fournir suffisamment de nourriture pour 9,6 milliards de personnes, soit le nombre d’habitants que comptera la Terre en 2050, tout en améliorant simultanément la santé globale: passer à ce type d’alimentation réduirait de 27 % le risque global de décès prématuré, évitant environ 15 millions de décès prématurés par an et réduisant fortement le risque de maladies chroniques, comme le cancer, le diabète de type 2 et les troubles cardiovasculaires.
La composition de l’assiette
D’accord, mais que prévoit exactement ce régime? Les céréales complètes, les fruits et légumes, les fruits à coques et les légumineuses constituent la base quotidienne, complétée par une apport modérée de protéines animales: viande rouge en petites quantités une fois par semaine, poulet et poisson deux fois par semaine, avec le poisson à privilégier; 3 ou 4 œufs par semaine et une portion de lait, yaourt ou fromage par jour. Un frein sur les sucres ajoutés, les graisses saturées et le sel pour réduire les problèmes de santé liés à l’alimentation.
« La Diete Planétaire pour la Santé n’est pas une approche universelle », précise Walter C. Willett, coprésident de la Commission et professeur d’épidémiologie et de nutrition à la Harvard T.H. Chan School of Public Health. « Elle tient compte de la diversité culturelle et des préférences individuelles, offrant une flexibilité au sein de lignes directrices claires pour atteindre des résultats optimaux en termes de santé et de durabilité dans le monde entier ». Les auteurs insistent sur l’importance de ne pas être rigides dans l’approche et d’adapter le régime en fonction des besoins d’âge (par exemple, des enfants), des conditions (par exemple, les femmes enceintes) et du pays d’origine.
Les bénéfices pour l’environnement
Idéalement, si l’ensemble de la population mondiale adoptait ce régime, les émissions de carbone liées au secteur alimentaire déraient de plus de 15 % par rapport à 2020 — de 20 % si, en plus de bien manger, nous réduisions de moitié les pertes et gaspillages alimentaires et améliorions les systèmes de production. Dans ce scénario optimiste, on observerait aussi une réduction de 7 % de l’utilisation des terres agricoles, une bouffée d’air pour le rétablissement de la biodiversité et des services écosystémiques.
Nourriture et justice sociale
Les membres de la Commission soulignent également que « sans s’attaquer aux inégalités enracinées dans les systèmes alimentaires actuels, aucune transformation ne sera complète ni durable », selon Christina Hicks, professeure de sciences sociales à l’Université de Lancaster, au Royaume-Uni. Il faut des interventions pour garantir l’accès économique à une nourriture nutritive, des salaires équitables et des conditions de travail décentes pour ceux qui travaillent dans la chaîne alimentaire à tous les niveaux, afin de renforcer et d’impliquer les communautés marginalisées dans des processus qui valorisent les ressources du territoire.
Il reste encore, de loin, des marges d’amélioration: actuellement, les 30 % les plus riches de la population mondiale sont responsables d’environ 70 % des pressions environnementales engendrées par les systèmes alimentaires; des millions d’enfants sont impliqués dans des formes de travail à la ferme, et près d’un tiers des travailleurs du système alimentaire gagnent moins que ce qu’ils devraient: cela concerne surtout les femmes, qui sont aussi les moins représentées dans les discussions syndicales et politiques.