Comment faire face à un deuil ou à une perte future grâce à la thérapie par schéma

Lutte et deuil

Le deuil et la perte sont des expériences universelles, qui touchent chacun d’entre nous à différents moments de la vie. Qu’il s’agisse d’avoir perdu une personne chère, de recevoir un diagnostic de maladie grave ou dégénérative, ou encore de se retrouver confronté à un licenciement, ces événements marquent profondément notre existence, souvent comme des points de bascule. Ils bouleversent notre quotidien et façonnent notre manière de percevoir et d’éprouver la vie.

Il existe un avant et un après que la personne s’efforce d’intégrer dans son récit personnel. Que ce soit un deuil considéré comme physiologique ou comme une crise pathologique, cela constitue une étape importante dans la construction de l’identité et dans la manière dont l’individu se rapporte à son histoire. La façon dont la personne vit, exprime et integre cette expérience varie en fonction de multiples facteurs, mais l’un des plus déterminants demeure son mode d’attachement, c’est-à-dire la qualité des liens qu’elle a tissés avec ses figures d’attachement durant son enfance, et qui influence la façon dont elle appréhende la perte et l’absence.

De l’attachement à la perte

Le système d’attachement (Bowlby, 1980) est un système motivationnel essentiel qui guide les enfants dans leur besoin de proximité avec ceux qui prennent soin d’eux, surtout en cas de danger ou de besoin. La qualité de ces relations initiales façonne ce que l’on appelle les Modèles Opératoires Internes (MOI) (Wallin, 2009), des représentations mentales qui intègrent des informations cognitives et affectives sur la façon dont nous nous attendons à être soutenus, protégés et aimés.

Tout au long de la vie, notamment à l’âge adulte, ces MOI tendent à se renforcer et à se transformer en un style d’attachement stable, composé d’un mode de penser et de comportements que l’on reproduit dans nos relations. On distingue ainsi plusieurs types d’attachement :

  • Attachement sécurisé
  • Attachement insécurisé, qui peut prendre deux formes : anxieux ou évitant
  • Attachement désorganisé

Lorsqu’une personne souffre d’un deuil pathologique, il est souvent observé une origine liée à un mode d’attachement insécurisé ou désorganisé (Onofri et La Rosa, 2015). L’événement de la perte ravive des blessures anciennes, souvent non résolues, qui entravent le processus normal de deuil. La douleur présente n’est pas seulement liée à l’absence physique, mais aussi à des schémas de vie et de pensée qui ont été construits dans l’enfance et qui refont surface, en amplifiant la souffrance.

Thérapies pour accompagner le deuil dysfonctionnel

Une approche thérapeutique efficace pour l’accompagnement de ces deuils complexes est la Thérapie par les Schémas. Cette méthode, à travers des exercices expérientiels, cognitifs, comportementaux, et en relation avec le thérapeute, cherche à répondre aux besoins insatisfaits tant du passé que du présent. Elle vise à favoriser une reconstruction émotionnelle et cognitive équilibrée, en travaillant spécifiquement sur les schémas d’attachement dysfonctionnels.

Le modèle de la Thérapie par les Schémas

Dans la Thérapie par les Schémas (Young et al., 2018), il est considéré que tout humain possède dès la naissance des besoins fondamentaux, essentiels à son épanouissement. Parmi ceux-ci, l’attachement sécurisé occupe une place centrale, mais il en existe d’autres, tels que la recherche d’autonomie, de compétence, d’identité, la nécessité de limites réalistes, d’autocontrôle, ainsi que la liberté d’exprimer ses émotions, ses besoins, sa spontanéité et d’avoir des possibilités de jeu et de créativité.

Il est crucial pour notre bien-être que ces besoins puissent être satisfaits dans nos relations primaires. Malheureusement, il arrive souvent qu’ils ne le soient pas complètement, ce qui entraîne la formation de Schemas Maladattifs Précoces (SMP). Ceux-ci sont des ensembles de souvenirs, d’émotions et de comportements qui se développent durant l’enfance et qui s’activent involontairement à l’âge adulte, influençant notre façon de penser, d’agir et de ressentir.

Ces SMP façonnent notre manière de voir le monde et d’interagir avec lui. Ils se manifestent via ce que l’on appelle des modes, des parties internes du psychisme qui entrent en scène dans le présent, exprimant certaines pensées, émotions ou comportements. Ces modes peuvent être positifs ou négatifs, adaptatifs ou dysfonctionnels, et c’est à travers leur compréhension et leur gestion que l’on peut progresser dans la récupération du bien-être.

Les schemas derrière un deuil pathologique

Dans le cadre d’un deuil compliqué ou pathologique, on retrouve souvent la réplication des schemas déjà conceptualisés dans la Thérapie par les Schémas, notamment ceux liés au domaine de l’attachement. Plus spécifiquement, ceux que l’on désigne comme liés au « distanc e/réfus » :

  • Abandon ou instabilité (“Tout le monde me quittera”)
  • Sfiduc e ou abus (“L’autre me fera du mal ou ne sera pas honnête”)
  • Déprivation émotionnelle (“Je suis seul et le resterai toujours”)
  • Inadéquation ou honte (“Il y a quelque chose qui ne va pas en moi, et si les autres le voyaient, ils me rejetteraient”)
  • Exclusion sociale (“Je suis différent des autres”)

Lorsqu’une personne subit une perte, le deuil ne se limite pas à la douleur immédiate liée à la disparition, mais réactive souvent des blessures anciennes. La douleur physiologique donnée par la perte coexiste avec des souffrances anciennes, activées comme des déclencheurs, auxquelles la personne ne sait pas comment faire face, utilisant parfois des stratégies de coping dysfonctionnelles. Par exemple, la personne peut retourner dans ses souvenirs douloureux, ou adopter des comportements d’évitement tels que l’alcool, les drogues ou la surconsommation de jeux vidéos pour fuir la réalité.

Les modes dans le deuil et la perte

Dans ce contexte, on peut distinguer plusieurs modes :

  • Mode enfant vulnérable : se manifeste par une tristesse profonde, un sentiment de désespoir ou de colère face à l’impossibilité de récupérer ce qui a été perdu. La personne peut se sentir impuissante ou totalement démunie.
  • Mode parent critique ou exigeant : il minimise ou nie la douleur, ou exige de la surmonter rapidement, empêchant ainsi le processus de deuil de s’installer. Parfois, il pousse la personne à s’auto-accuser ou à se culpabiliser.
  • Mode de coping évitant ou auto-consolateur : la personne peut dissocier de ses émotions, les réprimer ou se distraire à l’aide de comportements addictifs ou compulsifs, comme l’usage de substances ou d’activités compulsives. Dans ces cas, l’adulte peut apparaître comme faible ou impotent.

Le travail thérapeutique consiste essentiellement à dépasser ces modes de coping dysfonctionnels pour atteindre le mode enfant vulnérable, en satisfaisant ses besoins fondamentaux, tout en réduisant l’emprise du mode critique ou exigeant. Il s’agit de renforcer la partie saine, celle qui peut offrir sécurité et compassion.

La thérapie pour élaborer le deuil et les modes

Plus concrètement, en séance, il est conseillé de suivre plusieurs étapes (sans ordre strict) pour travailler efficacement sur un deuil complexe ou une perte à venir :

  • Observer la situation présente et le vécu du patient : cela permet de repérer dans quel(s) mode(s) il évolue. Par exemple, si le patient fonctionne principalement en mode de coping, il est essentiel de travailler à le soutenir tout en acceptant cette protection, puis, progressivement, d’amener la personne à se reconnecter avec ses émotions profondes.
  • Comprendre le besoin sous-jacent : en validant, soutenant, étant présent, ou en accompagnant par le jeu, on peut aider à déceler les besoins souvent masqués par les modes de défense, pour y répondre au mieux.
  • Contrecarer les modes de coping évitants : ces stratégies ont pour but d’éviter de ressentir la douleur, mais elles empêchent aussi de prendre conscience des besoins véritables. Le travail consiste alors à éviter la dissociation pour permettre à la personne de se connecter à ses émotions et ses besoins réels.
  • Traiter les parts critiques ou exigeantes : reconnaître et désamorcer ces voix intérieures permet d’accéder à des zones plus vulnérables et essentielles à la réparation du traumatisme et du deuil.
  • Réduire ou traiter la tendance à la surcompensation : certains recherchent l’extériorisation du contrôle ou du perfectionnisme par le biais d’activités excessives, comme le travail. La thérapie vise à équilibrer ces comportements pour laisser place à la vulnérabilité et à l’émotion authentique.

Travailler sur le deuil ou la perte à venir

Concernant la gestion des pertes futures, il est également question de travailler sur les représentations mentales et émotionnelles que l’on se forge à propos de ce qui n’est pas encore arrivé, mais que l’on redoute ou que l’on imagine avec angoisse. Des souvenirs d’expériences anciennes de frustration ou d’abandon peuvent influencer ces anticipations, renforçant le sentiment d’impuissance ou d’anticipation de la douleur.

Il est alors utile d’établir avec le patient une nouvelle perspective, en lui permettant de donner un sens à cette perte future. Par exemple, pour la perte d’un parent ou d’un enfant qui quitterait la maison, il s’agit de créer une nouvelle harmonie familiale ou de redéfinir un espace dans le domicile, afin de donner un nouveau cadre à cette séparation.

Coder différemment l’avenir, envisager la perte sous un angle constructif, permet d’alléger la charge émotionnelle, tout en acceptant la fragilité inhérente à l’existence. Il est aussi important d’éprouver de la gratitude pour ce qui a été, pour ce qui demeure, et pour l’opportunité de grandir à travers ces expériences.

Enfin, un point crucial est de questionner en séance si des idées suicidaires émergent. Connaître leur contenu, leur degré de concrétisation permet d’évaluer la situation et d’intervenir de façon adaptée pour prévenir tout risque.

Conclusion

En psychothérapie, le travail sur le deuil ne se limite pas à une simple démarche d’empathie ou d’écoute passive. Il s’agit d’un travail actif, engagé, centré sur l’identification des besoins profonds, leur satisfaction, la construction d’un sens à partir de l’expérience, l’établissement d’une perspective positive, et la valorisation des aspects nutritifs de la perte. Favoriser cette démarche permet d’ouvrir la voie à la reconstruction, à l’adaptation et à la croissance personnelle, en redevenant acteur du processus tout en acceptant l’impermanence de la vie.

Bibliographie

  • Bowlby, J. (1980). Attachment and loss. Basic Books.
  • Dana, D. (2019). La théorie polynégative dans la thérapie. S’harmoniser au rythme de la régulation. Éditions Giovanni Fioriti.
  • Young, J., Klosko, J. (2018). Thérapie par les schémas. Erickson.
  • Rafaeli E., Bernstein D, Young J. (2010). Thérapie par les schémas : caractéristiques distinctives. Caractéristiques spécifiques de la TCC.
  • Wallin, D.J. (2009). Psychothérapie et théorie de l’attachement. Le Mulino.
  • Onofri, A., La Rosa, C. (2015). Le deuil. Psychothérapie cognitivo-évolutive et EMDR.
  • Extrait du workshop : Grief and Loss: comment travailler avec la thérapie par les schémas – Douleur et perte : comment les gérer avec l’approche schema thérapeutique. Formatrice : Katja Molnar.
Article pensé et écrit par :
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