Comment les styles d’attachement évoluent chez les adultes dans des relations saines

Les styles d’attachement

Le concept d’attachement occupe une place centrale dans la compréhension du développement humain, puisqu’il influence non seulement la manière dont les individus nouent des relations durant l’enfance, mais aussi leur manière d’établir des liens à l’âge adulte.

Issus des recherches pionnières de John Bowlby, les styles d’attachement décrivent la relation affective créée avec les principaux figures d’attachement, que l’on appelle caregivers, et servent de modèle pour toutes les interactions sociales futures.

Mary Ainsworth, collaboratrice de Bowlby, a enrichi cette théorie en concevant un procédé permettant d’observer le comportement des enfants lors de situations de séparation et de retrouvailles avec leurs figures d’attachement. Elle a ainsi mis au point la célèbre “Situation étrange”, qui a permis d’identifier différents styles d’attachement.

Les styles d’attachement définis par Ainsworth sont :

  1. Attachement sécurisé : Les enfants se sentent en confiance pour explorer leur environnement, tout en se tournant vers leur figure d’attachement pour obtenir du réconfort en cas de besoin.
  2. Attachement anxieux-ambivalent : Les enfants vivent une anxiété accrue et s’attachent fortement à leur figure de référence, mais peuvent aussi devenir hostiles ou difficiles à calmer après une séparation.
  3. Attachement évitant : Ces enfants montrent une indifférence ou évitent le contact avec leur figure d’attachement, réagissant peu lors des séparations ou des retours de cette dernière.
  4. Attachement désorganisé : Ce style, identifié plus tard, concerne les enfants qui manifestent des comportements confus ou contradictoires envers leur figure d’attachement, souvent en réponse à des expériences traumatiques ou incohérentes.

L’attachement ne se limite donc pas à une seule expression monolithique ; il se manifeste sous plusieurs formes, chacune ayant des répercussions spécifiques sur la qualité des relations intimes à l’âge adulte.

Les évolutions à l’âge adulte

On pourrait penser qu’étant donné son apparition précocement dans le cadre de relations significatives durant l’enfance avec les caregivers, le concept d’attachement serait figé, voire immuable, au sein de la personnalité, résistant aux influences extérieures.

Or, la recherche actuelle montre qu’de nombreuses variables interviennent pour façonner les styles d’attachement au fil des expériences de vie, notamment dans le cadre de relations interpersonnelles, et plus encore dans les relations amoureuses.

Partant du principe que le style d’attachement pourrait effectivement être malléable, des chercheurs comme William Chopik de l’Université d’État du Michigan (MSU), Rebekka Weidmann de l’Université de Bâle, et Jeewon Oh de l’Université de Syracuse (2024), ont décidé de revisiter la littérature disponible concernant les changements d’attachement à l’âge adulte.

Les orientations d’attachement

Les données rassemblées par ces chercheurs confirment que les individus peuvent présenter deux types d’attachement insécure : soit ils craignent l’abandon (attachement anxieux), soit ils se sentent mal à l’aise lorsqu’ils sont proches des autres (attachement évitant).

De plus, plutôt que d’utiliser le terme “style”, Chopik et ses collègues préfèrent évoquer le concept d’“orientations d’attachement”, c’est-à-dire des modalités caractéristiques de chaque personne dans ses relations sociales.

Les autrices et auteurs expliquent que plusieurs raisons expliquent la relative stabilité de ces orientations chez la plupart des individus, rendant leur changement difficile. Une personne ayant un attachement sécurisé aura une manière d’aborder l’autre empreinte de confiance et de reciprocité, ce qui renforce la sécurité ressentie lors des échanges. À l’inverse, une personne avec un attachement évitant aura tendance à se tenir à distance des relations intimes, même si celles-ci pourraient au contraire la soulager et réduire sa réticence à se rapprocher des autres. Quant à celles et ceux qui possèdent un attachement anxieux, ils peuvent déformer leurs relations en croyant que les autres n’en ont que faire d’eux, ce qui reflète leur insécurité profonde.

Cependant, malgré cette stabilité apparente, Chopik et ses collègues avancent qu’il existe de nombreuses preuves indiquant que ces orientations ne sont pas gravées dans la pierre à la naissance.

Les preuves de possibilité de changement

Au cours de leur revue de la littérature, le groupe de recherche a analysé des données issues d’études longitudinales (suivi dans le temps) et transversales (comparaisons ponctuelles) portant sur les relations à l’âge adulte. Il en ressort que, globalement, les individus ont tendance à évoluer vers une plus grande sécurité d’attachement.

Bien que l’importance de cette évolution vers plus de stabilité ne soit pas très forte, il est intéressant de tenter de comprendre pourquoi et comment certains parviennent à modifier leur orientation d’attachement.

La tendance générale, associée à la théorie, indique que chaque style tend à influencer la nature des relations futures, “favorisant une certaine stabilité”, mais en même temps, les relations et les expériences de vie permettent aux individus, avec le temps, de devenir plus agréables et émotionnellement stables, ce qui ouvre une fenêtre à la modification, même progressive, des modèles d’attachement antérieurs.

Le modèle ASEM

Ce potentiel de remaniement des modèles d’attachement par des expériences positives est incarné dans le “Modèle d’Amélioration de la Sécurité d’Attachement” (ASEM). En pratique, l’ASEM vise à aider les personnes à mieux gérer leurs émotions et à répondre de façon plus saine aux situations de stress ou de difficultés relationnelles.

Les personnes ayant vécu des expériences d’attachement insécurisées, telles que des traumatismes ou des problèmes familiaux, peuvent développer des modèles relationnels peu sains, nuisant à leurs futures relations. L’ASEM intervient précisément pour cela, en cherchant à améliorer la conscience émotionnelle et à accompagner les individus dans la construction de liens plus sécurisants et positifs.

Ce modèle a été mis en pratique en thérapie, notamment en thérapie cognitive-comportementale ou axée sur les émotions, pour traiter des problématiques telles que l’anxiété, la dépression ou les difficultés dans la vie amoureuse.

En résumé, l’ASEM constitue une approche visant à rendre les personnes plus sûres d’elles émotionnellement, afin d’améliorer leurs relations affectives.

Les relations de couple jouent ainsi un rôle clé dans le processus de “modelage” de l’orientation d’attachement. En effet, on peut vivre des relations positives non seulement dans le cadre d’un accompagnement thérapeutique, mais aussi dans la vie quotidienne, à travers des liens significatifs qui se tissent naturellement et qui permettent de renforcer la sécurité affective.

Les ingrédients qui favorisent la stabilité et la satisfaction dans une relation demeurent pour l’instant partiellement mystérieux pour la recherche, mais certains éléments essentiels ont été identifiés : la capacité à négocier les conflits, ainsi que la confiance mutuelle entre partenaires, comptent parmi eux.

L’hypothèse de canalisation dans le développement de l’attachement

Keely Dugan et ses collègues de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign (2024) avancent que la qualité d’une relation devrait théoriquement s’améliorer avec le temps, à mesure que les partenaires renforce leur sentiment de sécurité mutuelle.

Selon la théorie de l’attachement, le “schéma de style d’attachement” à l’âge adulte reflète le “modèle opérationnel” que chacun construit à partir de ses premières expériences avec sa figure d’attachement. Ainsi, une personne ayant un style sécurisé percevra généralement autrui comme fiable, tandis que celles ou ceux qui craignent l’abandon auront un style anxieux ou évitant, selon le cas.

Dans ses premiers travaux, John Bowlby évoquait une “hypothèse de canalisation” du développement relationnel, selon laquelle la trajectoire de formation des modèles d’attachement devrait tendre à devenir de plus en plus stable, résistant aux influences extérieures.

Pour résumer, Dugan et ses collègues précisent que “les trajectoires de développement des modèles mentaux devraient se stabiliser et résister aux pressions extérieures”. Cela signifie qu’au début d’une relation, une personne peut osciller entre un style sécurisé et insécure, mais avec le temps, si l’hypothèse est correcte, elle devrait tendre vers un profil plus cohérent et stable.

L’étude

Les chercheurs ont utilisé des données longitudinales provenant de 1 741 adultes, avec une moyenne d’âge de 35 ans, suivis via une plateforme en ligne durant une période allant de 3 mois à 3 ans, répartis en 24 évaluations. Leur objectif était d’observer les variations dans les styles d’attachement et l’état des relations. Pour cela, ils ont mesuré la “chute” ou la “progression” par rapport aux tendances moyennes, en utilisant une méthode statistique appelée “résidu”.

Selon cette méthodologie, si l’hypothèse de canalisation est correcte, le “résidu” devrait diminuer avec le temps, notamment dans les relations récentes. Cela indiquerait que les individus tendent à suivre leur chemin vers plus de stabilité d’attachement au fil des années.

Les chercheurs ont également analysé comment certains événements spécifiques allaient influer sur ces changements. Parmi ces événements, figuraient la séparation physique due à une absence prolongée (travail, études), ou encore le début d’une dispute ou d’un conflit avec le partenaire. De même, ils ont suivi l’évolution de la relation dans ses phases de formation, de rupture ou de divorce, et examiné si le partenaire avait réalisé quelque chose de particulier pour l’autre, ou si des événements de vie importants (maladie, déménagement, décès, changement professionnel) survenaient.

La perception de l’évitement dans l’attachement comprenait des éléments comme “Je ne me sens pas à l’aise pour m’ouvrir à cette personne”, tandis que le sentiment d’anxiété était mesuré à l’aide de déclarations telles que “J’ai peur qu’on m’abandonne”.

Les résultats

Les résultats confirment que, comme anticipé, dans les premières phases d’une relation, les personnes présentent une plus grande variabilité dans l’attachement anxieux, comparé à celles en relation depuis plus longtemps.

En particulier, la diminution de l’anxiété d’attachement s’observe nettement au cours des premières années, ce qui confirme l’idée d’un processus d’amélioration. En revanche, le même phénomène ne semble pas s’appliquer à l’évitement ; ce dernier ne montre pas de tendance claire à la baisse dans le contexte relationnel.

Par ailleurs, en lien avec des événements relationnels, il apparaît que ceux qui débutent une relation se remettent plus rapidement après une dispute ou un conflit, que ce soit dans la phase initiale ou à long terme. Les expériences positives tendent également à stabiliser plus rapidement une relation à long terme. Pourtant, l’évitement reste peu influencé par ces mêmes menaces ou difficultés relationnelles.

Les chercheurs suggèrent que l’instabilité de l’attachement anxieux reflète sa sensibilité aux menaces perçues, ce qui rend ses fluctuations plus importantes. En revanche, l’évitement, plus résistant, pourrait représenter une stratégie de préservation de l’indépendance ou de la distance dans la relation.

En outre, ils notent que plus l’individu accumule d’expérience et affronte des situations difficiles, plus ses sentiments de vulnérabilité liés à l’anxiété tendent à s’estomper. Au final, cette étude corrobore que, même si une certaine plasticité existe, la stabilité de l’attachement en lien avec l’âge et l’expérience reste remarquable.

Il en ressort aussi que cette tendance à la canalisation s’applique moins à l’attachement évitant, qui semble davantage lié à une volonté de maintenir une distance, ce qui limite la possibilité d’évoluer vers un attachement sécurisé par la simple durée ou expérience.

En guise de conclusion

En somme, les styles d’attachement jouent un rôle déterminant dans la qualité des relations à l’âge adulte, influant sur la capacité à vivre une intimité harmonieuse et à gérer ses émotions au sein d’un couple.

Bien qu’aux premiers abords, ces styles puissent paraître fixes et difficiles à faire évoluer, il est tout à fait possible d’observer un changement par le biais d’expériences relationnelles positives, qui remettent en question et restructurent les schémas anciens.

Ces transformations peuvent intervenir lors de thérapies, où l’accompagnement professionnel facilite une restructuration saine, ou dans le cadre de relations amoureuses durables, où la confiance, la bienveillance et le soutien mutuel permettent de construire peu à peu un lien solide. La sécurité émotionnelle acquise dans ces relations contribue à modifier en profondeur les modèles initiaux d’attachement.

Les relations de couple, basées sur un échange sincère d’émotions et de soutien, constituent ainsi un levier essentiel pour le développement personnel et le bien-être psychique. Elles offrent l’opportunité de mieux comprendre sa propre capacité à établir des liens stables, tout en favorisant une évolution positive de l’attachement initial, côté individuel comme relationnel.

Bibliographie

  • Dugan, K. A., Fraley, R. C., Gillath, O., & Deboeck, P. R. (2024). Testing the canalization hypothesis of attachment theory: Examining within-subject variation in attachment security. Journal of Personality and Social Psychology, 126(3), 511–541. https://doi.org/10.1037/pspp0000488
  • Chopik, W. J., Weidmann, R., & Oh, J. (2024). Attachment security and how to get it. Social and Personality Psychology Compass, 18(1). doi: 10.1111/spc3.12808
Article pensé et écrit par :
Avatar de Jerry Guirault
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