Garder tout sous contrôle : le multitâche est-il un atout ou une limite ?

Dans notre société, pour parvenir à gérer simultanément leur vie personnelle, leur travail et leur famille, les femmes ont souvent recours à une compétence qu’on leur attribue traditionnellement : le multitâche. Cependant, cette capacité, souvent vantée comme une solution miracle, n’est pas toujours aussi efficace qu’elle en a l’air.

Que signifie le multitâche ?

Imaginez Valérie, à 15 heures, assise à son bureau, son agenda en main. Elle jette un coup d’œil autour d’elle : dans le salon, entre les jouets et les bavoirs, traînent encore les restes de la fête d’anniversaire de la veille. Dans sa nacelle à côté, son bébé de deux mois dort profondément, lui offrant enfin une parenthèse pour travailler. Pendant ce temps, sa fille cadette reviendra de l’école maternelle dans moins d’une heure.

Les tâches s’accumulent dans son esprit : la lettre du comptable qui l’invite à consulter le dossier au-dessus de son ordinateur, une traduction urgente en attente sur son bureau, la pile de vaisselle sale qui l’appelle du lavabo. Bien qu’elle ait décidé que son travail doit passer en priorité pour l’instant, Valérie se sent envahie de toutes parts. Dès que la maison devient silencieuse, une multitude de questions lui assaillent la tête, comme si son cerveau lançait plusieurs programmes en même temps : a-t-elle pris tous ses rendez-vous ? A-t-elle préparé ses cours ? Qu’avait-elle dit au pédiatre concernant la conjonctivite de son enfant ?

Une notion bien connue

Mais s’agit-il d’une capacité nouvelle ? En réalité, on considère que les femmes pratiquent le multitâche « depuis toujours », et cette aptitude semble avoir des origines à la fois historiques et sociales.

Le cerveau humain est capable de traiter simultanément plusieurs flux d’informations, même si cette capacité n’est pas toujours parfaitement précise. À l’ère du numérique, nos esprits s’adaptent peu à peu pour gérer d’importants volumes de données. Pourtant, il faut garder à l’esprit que le cerveau est un muscle, et comme tout muscle, il doit être entraîné. C’est pourquoi, dans beaucoup de sociétés, les femmes ont développé une capacité de « concentration partagée », renforcée au fil du temps. D’abord avec leur intégration progressive sur le marché du travail extérieur, ensuite avec l’essor des professions libérales ou indépendantes. Le multitâche est aujourd’hui une caractéristique essentielle de la vie de nombreuses femmes, leur permettant de « faire tenir » les multiples aspects de leur identité ; que ce soit leur rôle de mère, leur activité professionnelle ou leur vie personnelle.

Le poids mental que portent les femmes

Mais cette capacité est-elle réellement un atout, ou peut-elle aussi devenir une source de frustration ? Le débat fait rage parmi les chercheurs : certains pensent qu’elle est indispensable pour faire face au monde moderne, tandis que d’autres la considèrent comme une réponse « artificielle » façonnée par les exigences accrues de productivité et d’efficacité de notre époque.

De nombreuses femmes reconnaissent qu’essayer de s’occuper de plusieurs choses à la fois, tout en ayant du mal à déléguer, n’est pas une solution durable. Cela entraîne de la fatigue, du stress, et surtout, une surcharge mentale considérable. À un moment ou à un autre, elles aspirent simplement à pouvoir faire le contraire : arrêter leurs pensées, les organiser, et traiter chaque tâche séparément, en donnant la priorité à celle qui leur paraît la plus urgente.

Dans leur ressenti, cette capacité à « prioriser » serait plutôt typique des hommes, y compris des pères : alors que les femmes, devenues mères, ont tendance à diviser leur attention pour « tout faire tenir » — maison, travail, soin d’elles-mêmes et des enfants —, les hommes abordent souvent une seule tâche à la fois. Cela leur permet d’avoir des attentes plus réalistes quant à leur rendement. Une étude de 2013, confirmée par des recherches ultérieures, a montré que la structure cérébrale diffère entre hommes et femmes en ce qui concerne la gestion multi-tâches et les responsabilités domestiques ou professionnelles.

Le cerveau et la grossesse

Que l’on soit un homme ou une femme, faire plusieurs choses en même temps ou une seule à la fois, ce sont deux manières différentes d’organiser ses actions et ses processus mentaux. Et les effets de ces modes de fonctionnement sur notre environnement ne sont pas les mêmes.

Aujourd’hui, de plus en plus de femmes, tout en conservant leurs habitudes ou leurs traditions, souhaitent économiser leurs forces, en particulier après l’arrivée d’un enfant. Selon les dernières recherches en neurobiologie, la maternité provoque justement une réorganisation du cerveau dans ce sens : elle ne se contente pas d’adapter le corps hormonal, mais implique une restructuration profonde des connexions neuronales, fortement influencée par le contexte de vie, les soutiens ou, au contraire, les obstacles rencontrés par la future mère.

Déjà pendant la grossesse, la femme perçoit une sorte de « diminution cognitive » liée, entre autres, à la fatigue. On observe une réduction du volume de la matière grise dans la cortex postérieure et la cortex frontale moyenne, zones impliquées dans la conscience de soi et la socialisation. Le cerveau se prépare à son futur rôle de mère en s’orientant vers l’extérieur, en direction de l’enfant.

Les neurones maternels deviennent alors de redoutables « antennes », capables de capter les besoins même les plus subtils du bébé. Ces modifications cérébrales semblent s’inscrire sur une période d’environ deux ans après l’accouchement, indispensables pour fixer les habitudes d’éducation et de soin.

Une approche partagée pour l’éveil de l’enfant

Ce processus va à l’encontre du principe du multitâche, qui pousse à agir sur plusieurs fronts simultanément, souvent pour éviter de ressentir de la culpabilité. Le multitâche reste donc une ressource potentielle, mais à condition de l’orienter dans une voie positive. La voie de la « parentalité partagée » — une expérience riche mais souvent difficile à concrétiser — nécessite une implication active de la société dans le soutien à la parentalité, ainsi que la capacité des deux parents à connaître et à ajuster leurs priorités. Il s’agit là d’un défi, car il exige de toutes et tous de revoir leurs schémas habituels, d’apprendre à déléguer, et parfois, de renoncer à vouloir tout faire parfaitement, pour privilégier l’équilibre et le bien-être familial.

Article pensé et écrit par :
Avatar de Julie Ménard
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