Comprendre l’attachement désorganisé : causes, symptômes et solutions

Qu’est-ce que l’attachement désorganisé ?

L’attachement désorganisé se définit comme une rupture dans les échanges habituels entre un parent et son enfant. Il se développe lorsque le jeune perçoit ses figures d’attachement comme imprévisibles ou effrayantes, ce qui crée chez lui un sentiment de confusion et de crainte à l’égard de celui ou celle censé(e) lui offrir protection et sécurité.

Le concept d’attachement désorganisé a été introduit en 1986 par Mary Main et Judith Solomon. Il concerne ces enfants qui, lors de l’expérimentation appelée Situation étrange, ne manifestent pas un comportement cohérent vis-à-vis de leur figure de référence (généralement un parent).

Dans cette Situation étrange, conçue par la psychologue Mary Ainsworth pour observer la relation entre le bébé et ses figures d’attachement, l’enfant est séparé de son parent puis réuni avec lui dans un environnement contrôlé. Chez les enfants présentant un attachement désorganisé, on peut observer des réactions confuses : ils peuvent par moment rester figés, comme paralysés, s’approcher puis s’éloigner brutalement ou sembler apeurés sans raison apparente.

Selon la psychologue Maria Angela Di Noia (2009), ces comportements issus de l’enfant relèvent d’un conflit intérieur : deux pulsions opposées s’activent simultanément en lui, à savoir le besoin d’attachement et celui de mécanisme de défense. Quand le parent, qui devrait assurer la sécurité, est perçu comme une source de peur ou de menace, l’enfant se trouve face à une double injonction : il manifeste le souhait de rechercher du réconfort, mais ressent également le besoin de s’éloigner pour se protéger.

Chez l’adulte, un passé d’attachement désorganisé peut ressortir lors d’un entretien clinique appelé Entretien d’attachement chez l’adulte, utilisé pour analyser les modèles affectifs développés durant l’enfance. Les personnes avec un attachement désorganisé ont tendance à raconter leurs expériences de façon confuse, ponctuées de pauses soudaines ou de récits de traumatismes qui surgissent brutale-ment. Cela traduit une difficulté à intégrer de manière cohérente leur image intérieure des relations affectives, appelés Modèles Opératoires Internes (MOI).

L’attachement désorganisé est souvent difficile à repérer, notamment dans le cadre éducatif ou familial quotidien. Cependant, il peut se manifester de façon évidente lors de périodes de stress intense ou crise relationnelle. La détection précise nécessite souvent une évaluation clinique approfondie.

Comment se développe l’attachement désorganisé ?

L’attachement désorganisé se forme principalement dans des contextes familiaux où l’enfant vit des expériences traumatiques précoces telles que l’abus, la négligence, la perte ou la violence domestique.

Lyons-Ruth et Jacobvitz (1999) ont montré qu’il n’est pas rare que la figure d’attachement soit à la fois effrayée et effrayante. Dans ces cas, le parent peut lui-même être dans un état mental dissocié, émotionnellement inatteignable, et transmettre à l’enfant une peur incompréhensible.

La théorie de l’attachement souligne l’importance de la transmission intergénérationnelle du trauma : des parents qui n’ont pas fait le deuil de pertes ou ont subi des violences risquent d’activer la désorganisation chez leur enfant, même en l’absence de maltraitance manifeste. Plusieurs études longitudinales (Carlson et al., 1982 ; Main & Hesse, 1992) confirment une forte prévalence de patterns désorganisés chez les enfants dont les parents ont connu des traumatismes non résolus.

Sur le plan neurobiologique, l’attachement désorganisé est associé à une augmentation de la sécrétion de cortisol, l’hormone du stress, et à une vulnérabilité accrue à la dysrégulation émotionnelle. Il est crucial de noter que l’absence chronique de synchronisation émotionnelle, même si elle n’est pas violente, peut aussi favoriser cette désorganisation. La continuité entre expériences précoces et développement psychopathologique futur rend indispensable une intervention précoce, notamment par une thérapie adaptée.

Signes et caractéristiques de l’attachement désorganisé

Les enfants présentant un attachement désorganisé manifestent souvent des comportements confus et contradictoires. Par exemple, ils peuvent s’approcher de leur parent tout en le regardant ailleurs, ou le frapper sans raison apparente. Selon Lyons-Ruth et ses collègues (1999), ces signaux indiquent que l’enfant ne parvient pas à développer des stratégies efficaces pour faire face au stress ou chercher du réconfort : il a l’impression que ses réponses sont « bloquées », car il ne sait pas comment agir.

En grandissant, ces difficultés peuvent perdurer et influencer la vie adulte. Les personnes avec un attachement désorganisé tendent à avoir des relations instables, à éprouver une forte peur de l’abandon, à avoir du mal à gérer leurs émotions et à avoir une vision fragmentée et incertaine d’elles-mêmes.

Giovanni Liotti (1999) a souligné que la désorganisation de l’attachement peut également être liée à des états dissociatifs, des troubles de l’identité et une perception fluctuante des autres : la personne peut se sentir à la fois victime, persécuteur ou sauveur, changeant de rôle de façon confuse. Cela augmente le risque de développer des troubles plus graves, comme le Trouble de la personnalité limite ou certains troubles dissociatifs, dont le Trouble dissociatif de l’identité. Chez ceux qui souffrent de dissociation, la difficulté réside dans le fait que la mémoire des émotions profondes (souvent inconscientes) n’est pas reliée à la conscience des faits. Une disconnexion interne s’installe, propre à l’attachement désorganisé, rendant difficile la confiance dans les relations, même en contexte thérapeutique ou affectif.

Il est donc essentiel que les parents, enseignants, éducateurs ou toute figure de référence apprennent à repérer ces signaux dès le plus jeune âge, afin d’offrir un soutien, une stabilité et une protection adaptée. La sensibilisation à ces dynamiques chez l’adulte — dans le couple, la famille ou au travail — permet aussi de construire des liens basés sur la confiance, l’écoute et la continuité. Avec un accompagnement approprié, même les blessures les plus profondes peuvent se comprendre et évoluer positivement.

L’impact de l’attachement désorganisé sur les relations affectives

Les personnes qui ont connu un attachement désorganisé vivent leurs relations sentimentales de façon très confuse. D’un côté, elles aspirent profondément à l’intimité, mais de l’autre, elles redoutent fortement d’être abandonnées.

Comme l’expliquent Feeney et Noller (1990), leurs relations présentent souvent une forte dépendance affective, et peuvent osciller entre idéalisation ou dévalorisation du partenaire. Leurs émotions peuvent fluctuer rapidement, passant d’un extrême à l’autre. Liotti (1999) souligne que ce comportement émane de blessures relationnelles non résolues qui se réactivent dans le contexte amoureux. En conséquence, ces personnes peuvent manifester lors de leurs relations adultes des comportements comme le besoin de contrôle, la peur d’exprimer leurs émotions, une dépendance excessive ou des stratégies de séduction et de manipulation peu saines.

Ce fonctionnement fragilise la stabilité des liens, créant parfois des situations d’abus psychologique ou émotionnel. Les individus avec un attachement désorganisé ont souvent du mal à donner un sens clair à leurs expériences, et peuvent réagir avec régresse soudaine, à ressentir un vide intérieur ou à mettre en place des comportements d’auto-destruction.

Leurs difficultés à poser des limites nettes et à gérer la proximité peuvent aussi favoriser des relations symbiotiques ou des ruptures brutales, alternant idéalisation et rejet, ce qui rend leurs liens très intenses mais aussi très instables.

Comment prendre en charge l’attachement désorganisé ?

Selon l’approche dynamique et maturative développée par la psychologue américaine Patricia Crittenden, l’attachement n’est pas une configuration figée ou invariable, mais un système souple. Cela signifie que malgré des expériences difficiles durant l’enfance, il est possible de modifier ses schémas affectifs à travers relations positives, expériences de réparation et thérapies structurées.

Plusieurs formes de psychothérapie se sont montrées efficaces dans le traitement des problématiques liées à l’attachement désorganisé, notamment :

  • La Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC), qui aide à identifier et modifier les pensées et comportements dysfonctionnels.
  • La Thérapie basée sur la mentalisation (MBT), conçue par Peter Fonagy et Anthony Bateman, visant à mieux comprendre ses états mentaux et ceux des autres pour améliorer la qualité des relations.
  • La Compassion Focused Therapy (CFT), élaborée par Paul Gilbert, qui développe la compassion envers soi-même et autrui, surtout utile pour les personnes ayant vécu des expériences de honte, de culpabilité ou d’autocritique sévère.

Marsha Linehan (1993) a insisté sur l’importance, en séance, de valider les émotions du patient et de renforcer ses capacités de réflexion métacognitive, c’est-à-dire sa capacité à penser sur ses propres pensées et sentiments, ainsi que ceux des autres.

Un outil également précieux en thérapie est le « triangle dramatique » (issu de l’analyse transactionnelle d’Erik Berne, dans les années 1950). Il permet d’identifier et de transformer certains rôles internes comme celui de la victime, du sauveteur ou du persécuteur, que l’on retrouve souvent dans les dynamiques relationnelles difficiles. La thérapie de groupe ou les co-thérapies, comme le recommande le psychothérapeute Giuseppe Ivaldi (2004), offrent aussi la possibilité de vivre des expériences relationnelles nouvelles et positives, réduisant ainsi le risque de abandon de la thérapie ou de rechute.

Concomitamment à la thérapie, des stratégies d’auto-assistance telles que la pleine conscience (mindfulness), la tenue d’un journal intime pour exprimer ses émotions, ou encore des exercices de régulation émotionnelle, peuvent grandement contribuer à mieux se connaître et à gérer ses affectes.

Enfin, pour espérer une transformation durable, il est essentiel de bâtir des relations basées sur la reciprocité, l’écoute empathique et la cohérence. Si ce processus demande du temps et de la patience, il est tout à fait possible à tout âge, notamment en s’appuyant sur des expériences émotionnelles renouvelées et un accompagnement thérapeutique solide et bienveillant.

En conclusion

L’attachement désorganisé représente une blessure profonde souvent née dans des environnements familiaux marqués par des traumatismes, une incohérence émotionnelle ou des situations de stress intense.

Bien qu’il prenne racine dans la petite enfance, ses effets peuvent perdurer et influencer la manière dont un adulte vit ses relations ou son bien-être émotionnel. La bonne nouvelle, c’est que le changement est possible.

Comprendre l’origine de ce type d’attachement constitue une étape clé pour amorcer un processus de croissance et d’évolution. Il est crucial de promouvoir une culture de la conscience de soi, qui implique parents, éducateurs et toute personne en charge de l’accompagnement des enfants et des jeunes. Un adulte attentif, capable de repérer les signaux de détresse, d’instaurer un dialogue ouvert et d’offrir un espace de sécurité pour l’expression émotionnelle, peut faire toute la différence dans le développement affectif de l’enfant.

De même, chez l’adulte, apprendre à identifier certaines dynamiques relationnelles — comme la peur de l’abandon, la difficulté à faire confiance ou les réactions émotionnelles excessives — peut permettre de briser des schémas dysfonctionnels et d’engager une nouvelle voie de changement. Recourir à un professionnel de la santé mentale peut offrir un cadre sécurisant pour explorer ses émotions, revisiter le passé et poser de nouvelles bases pour ses relations futures.

Comme le soulignait l’psychothérapeute John Bowlby (1988), ce sont les relations stables et significatives qui nous aident à transformer notre vision de nous-mêmes et des autres. Accepter sa vulnérabilité n’est pas une faiblesse : c’est un point de départ pour grandir et devenir plus fort. La capacité de faire évoluer ses Modèles Opératoires Internes, c’est-à-dire ses représentations de soi et des relations, rappelle que notre histoire n’est jamais entièrement figée. Avec le temps, la patience et la qualité des liens que l’on construit, il est toujours possible de s’orienter vers une sécurité émotionnelle plus profonde et sincère.

Si vous ressentez que ces dynamiques vous parlent, n’hésitez pas à commencer par remplir notre questionnaire d’évaluation : il pourra vous aider à repérer l’accompagnement psychologique qui vous conviendra le mieux. Le premier pas peut se faire dès aujourd’hui.

Article pensé et écrit par :
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