Souvent, en France comme ailleurs, les parents et les enseignants ont tendance à employer à la légère le terme « dépression » face aux bouleversements physiologiques que connaît l’adolescence. Pourtant, il est essentiel de savoir repérer ce trouble et de connaître les démarches à suivre pour intervenir efficacement.
Quels sont les symptômes de la dépression chez l’adolescent ?
Il est plus pertinent de parler de signaux d’alerte que de symptômes stricts de la dépression chez l’adolescent. Ces signaux doivent inciter les parents à rester attentifs, à mieux observer leurs enfants, sans pour autant les accabler ou utiliser immédiatement le mot « dépression » avec eux.
« La majorité des jeunes qui viennent me parler — explique Milena Sorrenti, conseillère en accompagnement psychologique à l’Institut CHANGE, qui anime plusieurs espaces d’écoute pour les adolescents en établissements scolaires et en centres de consultation — évoquent plutôt de l’anxiété, un sentiment de solitude ou d’incompréhension ; rares sont ceux qui parlent de dépression. Ce sont surtout les parents et les enseignants qui emploient facilement ce mot ou ce diagnostic, souvent en contestation ou en malentendu », note-t-elle.
L’emploi du mot « vivement » par Milena interpelle sur ce que l’on peut vraiment considérer comme une dépression chez l’adolescent, ou ce qui n’en est pas. Un adolescent dépressif n’est pas forcément celui qui proteste ou qui a des crises de colère inattendues. En réalité, il peut aussi apparaître tout simplement absent, apatique, peu réactif ou irritable de manière généralisée, avec des accès de colère imprévus et imprévisibles. Il ne manifeste parfois même pas de tristesse apparente, mais une sorte d’indifférence ou de passivité.
Il n’est pas évident pour les parents de distinguer quels comportements ou quels signaux doivent réellement faire penser à une dépression. Il est conseillé d’éviter de se lancer trop rapidement dans des recherches internet pour y trouver une « recette » ou un diagnostic instantané, cela risquant d’alimenter confusion ou malentendus.
L’approche la plus recommandée consiste à observer ses enfants avec patience et vigilance, en surveillant notamment les changements brusques et persistants tels que :
- Une tristesse profonde qui ne peut être corrigée par des activités qui auparavant rendaient l’adolescent heureux ;
- Un recours fréquent aux pleurs, en dehors de toute situation exceptionnelle ;
- Une baisse de la sociabilité, une critique négative des amis ou une désaffection envers leur groupe ;
- Une augmentation du besoin de solitude ou une diminution marquée des activités habituelles telles que le sport, la musique ou d’autres loisirs de groupe ;
- Des troubles du sommeil, avec des phases d’insomnie ou de sommeil excessif ;
- Des comportements alimentaires inhabituels, qu’il s’agisse d’une perte ou d’un excès d’appétit.
Attention : il ne faut pas encore crier au « dépressif ! ». Mieux vaut maintenir une vigilance douce, sans tomber dans la suspicion ou l’interrogation incessante. C’est en collaboration avec un professionnel que l’on pourra déterminer la démarche la plus adaptée, qu’il s’agisse ou non d’une dépression, afin d’aider l’adolescent à aller mieux. C’est tout simplement cela le plus important.
Pourquoi la dépression survient-elle à l’adolescence ?
Il est à proscrire de poser deux questions redoutables auprès d’un jeune en souffrance : « Qu’est-ce que tu as ? » ou « Qu’est-ce qui s’est passé ? ». Que ce soit une tristesse passagère, une période de réflexion intense sur le sens de la vie, ou un début de dépression, ces questions n’ont généralement pas de réponse claire. En effet, il est rare qu’un seul évènement ou une expérience singulière soit à l’origine de ces changements. Ce sont souvent un ensemble de facteurs difficiles à mettre en mots.
Au cœur de ce trouble, il y a une étape universelle pour tous les adolescents : la mutation vers l’âge adulte. La période de transition s’accompagne de nombreux défis, tels que la nécessité d’établir de bonnes relations avec les pairs des deux sexes, d’accepter les transformations corporelles et les réactions sociales qui en découlent, de gagner en indépendance, notamment émotionnelle, par rapport à ses parents, ou encore de préparer son autonomie financière et personnelle.
C’est comme sortir d’une vieille peau sans avoir encore revêtu la nouvelle : cette transformation peut s’accompagner d’une hypersensibilité, d’une hyperréactivité à tout ce qui se passe, et d’une attention exagérée à ce que pensent les autres. Lorsque cette situation « physiologique » se voit accentuée par des facteurs aggravants — contexte familial trop exigeant ou peu affectif, pression scolaire ou sportive trop forte, objectifs irréalisables, etc. — l’adolescent peut se sentir incapable, inadapté, isolé. Tout ceci peut, sous certaines circonstances, mener à un état dépressif.
Les premières expériences sentimentales ou sexuelles peuvent aussi jouer un rôle. Une déception ou une rupture, si elle ne se résorbe pas, peut contribuer à créer un état qui se prolonge dans le temps et qui, dans certains cas, devient une véritable alerte.
Ce qu’il faut faire et ce qu’il vaut mieux éviter
Au-delà de la règle de ne pas poser des questions directes et d’adopter une attitude d’observation sans agir trop vite, il est primordial que les parents s’interrogent sur leur propre style de communication. Est-il encore adapté à la période que traverse leur adolescent ? Attention : cela ne signifie pas que les parents soient responsables d’une dépression éventuelle, mais qu’un ajustement dans leur manière de communiquer et d’accompagner leur enfant peut être nécessaire face à une période difficile.
Une consultation avec un professionnel de l’accompagnement éducatif ou psychologique peut constituer une première étape. Échanger avec un spécialiste permet d’affiner ses observations et d’élaborer des hypothèses pour mieux dialoguer avec son adolescent.
Proposer un accompagnement psychologique ou un accès à un centre spécialisé doit servir de démarche prudente. Si c’est mal fait ou mal timing, cela risque de renforcer la réticence de l’adolescent à accepter une aide. C’est pourquoi il est très important que les parents cherchent d’abord à se faire aider eux-mêmes. En étant accompagnés, ils pourront mieux déterminer le moment et la manière de proposer cette aide, tout en choisissant le dispositif le plus adapté à leur situation.
De nombreux jeunes qui, dans un premier temps, refusent un rendez-vous chez le psychologue, acceptent finalement des séances en groupe ou en individuel, où ils peuvent parler librement, se sentir écoutés, et commencer à « démêler » leurs problèmes. C’est le cas de Pietro, un adolescent de quatorze ans, qui développait des comportements de retrait social et de communication réduite. Il a pu bénéficier d’un espace d’écoute dans son école, puis entamer une psychothérapie. Aujourd’hui, il continue à participer à des groupes de parole sur la gestion de l’anxiété liée à la performance scolaire. La dépression existe dans sa vie et dans celle de sa famille, mais il l’aborde comme un défi à gérer, pas comme une condamnation définitive.