Les évaluations nationales françaises, destinées à apprécier le fonctionnement du système éducatif, font désormais partie intégrante du quotidien des établissements scolaires, même si elles ont du mal à s’imposer face aux protestations et aux absences massives. Depuis l’année scolaire 2005-2006, elles se déploient sur l’ensemble du territoire et prévoient aujourd’hui des épreuves de français et de mathématiques en CE1 et CM2, en 6e du collège et en Seconde et Terminale du lycée. Pour l’ultime année du primaire et du collège, ainsi que pour la Terminale du lycée, il est aussi prévu de mesurer des compétences en anglais, à travers des épreuves de compréhension de l’écrit et d’écoute. Dans l’école primaire, les écoliers passent encore l’épreuve sur papier, alors que dans le secondaire l’épreuve se déroule sur ordinateur. Cette année, la période de passation des tests, selon les niveaux, s’étendra entre mars et mai et de nombreux établissements s’activent déjà, avec une dose de stress liée à ce que l’on appelle la « mesure ».
Pourquoi les épreuves ?
Mais que mesurent exactement ces évaluations nationales ? Comme le précise l’administration éducative sur son site officiel et dans ses publications associées, ces épreuves ont été conçues comme un outil standardisé d’évaluation permettant d’appréhender les compétences dans des domaines fondamentaux de l’enseignement, tels que la capacité à comprendre un texte ou à mobiliser des notions mathématiques simples. Des dispositifs similaires existent dans de nombreux pays européens et au-delà. L’objectif est de disposer d’un instrument qui permette d’identifier où agir pour améliorer le système scolaire, d’autant plus que les cadres internationaux laissent apparaître que nos élèves, bien qu’ils passent de longues heures à l’école, rencontrent des difficultés à mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Intervenir sur cet aspect pourrait aider la pédagogie à réduire les inégalités sociales, l’un des buts majeurs de l’éducation. Dans les intentions du ministère de l’Éducation nationale, ces épreuves sont conçues comme des outils qui valorisent les compétences et le « savoir-faire » plutôt que la simple mémorisation, et comme des moyens d’évaluer la qualité de l’enseignement et la capacité de raisonnement.
L’importance du contexte
Les critiques adressent fréquemment le fait que ces données restent froides et décontextualisées, rendant leur interprétation complexe. Mesurer le niveau d’une performance sans mettre ce niveau en relation avec le contexte socioéconomique dans lequel l’enfant ou l’adolescent se développe peut limiter la valeur de l’évaluation. À partir de l’année scolaire 2015-2016, les données des évaluations nationales peuvent être corrélées au contexte socioéconomique de l’établissement, afin de mesurer ce qu’on a nommé « l’effet établissement ». En résumé, elles indiqueraient ce que l’école a été capable de faire pour intervenir et renforcer les compétences des élèves. L’effet établissement peut ainsi offrir des indications utiles pour améliorer l’éducation.
Des intentions au cas concret
Mais, dans la pratique de la vie scolaire, ces nobles intentions se traduisent-elles par des résultats concrets ? Nous en avons discuté avec Alex Corlazzoli, enseignant, journaliste et auteur de chroniques sur le rôle de l’école dans la société contemporaine, qui s’appuie sur son expérience quotidienne d’enseignant du primaire. « Au fil du temps, déclare-t-il, les évaluations nationales se sont assurément améliorées sur les plans de l’exactitude et de la fiabilité. Par exemple, un progrès notable réside dans l’intégration de la langue anglaise dans les compétences évaluées, mais de nombreux aspects demeurent problématiques. »
Une perception déformée
Pourquoi tant d’enseignants et de parents se montrent-ils encore opposés à ces évaluations nationales ? La base se trouve peut-être davantage dans une question de communication : malgré les intentions, ces épreuves apparaissent comme un moyen de pointer du doigt le travail des enseignants ou comme une occasion de minimiser les capacités des élèves, les plaçant dans une sorte de compétition. « En théorie, les intentions devraient être différentes, mais les enseignants ressentent la pression des chefs d’établissement, qui se sentent souvent remis en cause par les résultats des tests et ce fardeau se transmet aux élèves et à leurs familles », observe Corlazzoli. « D’après mon expérience d’enseignant, ce sont surtout les élèves plus âgés, par exemple ceux en CM2 ou dans les dernières années du secondaire, qui prennent conscience qu’ils passent une épreuve officielle et montrent des signes d’anxiété. »
Un entraînement absurde à l’épreuve
Étant donné que l’objectif du test est souvent mal compris, on voit parfois émerger l’idée d’esquiver le problème des résultats décevants en « préparant » les élèves à passer les évaluations nationales. « Dans certaines écoles, la programmation est interrompue pour consacrer du temps à des exercices proches de ceux des épreuves nationales, au détriment des apprentissages des élèves. Dans d’autres, on propose l’achat de manuels scolaires spéciaux, largement diffusés par les éditeurs », remarque Corlazzoli. Si ces effets peuvent parfois améliorer les performances lors de ces tests spécifiques, l’objectif de repenser la pédagogie pour répondre aux besoins des élèves est alors contourné et, par conséquent, compromis.
Ce qui échappe à ce type de test
D’une part, un test standardisé peut offrir une mesure plus fiable dans certains domaines, mais d’autre part, il faut prendre en compte des dimensions tout aussi importantes qui échappent à une évaluation aussi structurée. « Il faut par exemple considérer le contraste entre l’idée d’administrer un test standardisé et le principe d’individualisation de l’enseignement, qui tient compte des caractéristiques uniques et irremplaçables de chaque élève et qui est au cœur de la pédagogie contemporaine. Comment concilier ces aspects ? Et puis, que garantit que les domaines examinés soient réellement déterminants pour le développement des compétences des enfants et des adolescents ? » Les évaluations nationales, par exemple, passent totalement au travers des compétences créatives et artistiques, ou encore des savoir-faire numériques. Ce ne sont pas des capacités mineures par rapport à celles mesurées. « Malgré les discours, » insiste l’expert, « de nombreuses questions restent arides et schématiques et il semble qu’il n’y ait pas suffisamment d’espace pour la capacité de réélaboration critique. Les épreuves chronométrées de lecture suscitent aussi beaucoup de perplexité, car elles peuvent stresser les élèves et donner l’impression erronée que l’école doit respecter des délais d’apprentissage uniformes pour tous. Ces tests ne parviennent pas non plus à rendre compte du cheminement individuel de développement. » Ce dernier point est fondamental pour appréhender, même s’il sort du cadre des objectifs des évaluations, l’idée même d’un « effet établissement ».
À quoi servent les résultats ?
Le problème lié au manque de communication efficace sur les finalités de ces tests produit des effets paradoxaux. « Il arrive, par exemple, que les enseignants ne se concentrent que sur les résultats de leur propre classe, perdant de vue une vision globale. Ou bien que les résultats deviennent un outil de marketing pour les écoles, mis en avant lors des journées portes ouvertes pour attirer les inscriptions », rappelle Corlazzoli. La défiance des familles et des établissements envers les évaluations tient ensuite à la sensation que les résultats ne débouchent pas sur des mesures concrètes. « Une fois une carence identifiée ou un problème mis au jour, il faudrait établir un agenda pour y remédier. Or, à ce jour, peu de choses ont été faites pour soutenir les écoles qui opèrent dans des contextes difficiles, en transformant les données en actions qui permettent réellement de changer la vie des élèves ».
En résumé, si certains aspects se sont améliorés avec le temps, les épreuves semblent encore décevoir une grande partie de leurs objectifs. « Dans l’ensemble, l’idée d’utiliser des outils d’évaluation des apprentissages et de l’efficacité de l’action éducative n’est pas à rejeter, mais, pour l’instant, les limites demeurent nombreuses et c’est pourquoi les doutes des écoles et des familles sont compréhensibles », conclut Corlazzoli.