Guide Complet du Capitaine du Navire de l’Ombre : Stratégies et Conseils pour Naviguer et Réussir

Chaque jour, des supertankers de ce que l’on appelle la « flotte ombragée » russe passent le long des côtes françaises. Personne ne saurait ce qui se trame à bord de ces bateaux mystérieux, à l’exception d’un seul.

Des navires invisibles qui traversent nos eaux

Chaque jour, à toute heure, des supertankers russes évoluent dans nos eaux territoriales, à quelques encablures de nos côtes françaises. La plupart des Européens ne se doutent même pas du passage de ces navires, aussi discrets que furtifs, qui naviguent dans l’ombre. À l’exception d’un seul, qui connaît leur existence et leur fonctionnement.

« Je me sens comme un membre de la machine de guerre russe », raconte Bjarne Cæsar Skinnerup, un vieux pilote de navigation danois. Pourtant, son rôle n’est pas d’appuyer la propagande ni de soutenir la guerre, mais de veiller à la sécurité en mer : éviter les collisions, protéger les navires, assurer la fluidité du trafic maritime dans des zones congestionnées et dangereuses. Sa mission est claire : surveiller, guider et prévenir les accidents en haute mer.

Une mission de tous les jours à bord des navires de transit

Ses quarts commencent à bord d’un bateau de pilotage orange vif, destiné à l’éloigner du continent danois pour l’amener dans la mer Baltique ou dans la région du Grand Belt. Lorsqu’un gros navire marchand est repéré, le pilote doit hisser une échelle de cordes pour atteindre la passerelle. Là-haut, il est accueilli par l’équipage, puis conduit jusqu’à la cabine de commandement. Tout le monde connaît sa tâche : guider le navire dans les eaux souvent resserrées, peu profondes et très fréquentées.

Ce qui transporte le navire ou d’où il vient importe peu à la société de pilotage. Ainsi, Skinnerup se retrouve même à monter à bord de supertankers russes, aujourd’hui encore peu connus en Europe mais qui jouent un rôle crucial dans le commerce clandestin. Ces navires appartiennent à la mystérieuse « flotte ombragée » russe, qui transporte du pétrole brut — probablement en violation des sanctions européennes — vers le reste du monde. Bien que leur accompagnement par des pilotes ne soit pas une obligation lors de leur transit dans l’espace danois, la majorité d’entre eux font appel à ces services, en raison de passages maritimes étroits, peu profonds ou très fréquentés.

Des doutes sur la qualification des équipages

« Je suis convaincu que tout ce qui sort des ports russes — l’argent qui en est tiré — finance directement la guerre de la Russie contre l’Ukraine », confie le pilote. « C’est pourquoi je ressens un malaise profond à faire ce travail, et je ne peux m’empêcher d’être très triste de constater cela. »

Au-delà de ses préoccupations morales, ce qui l’inquiète aussi, c’est l’état dégradé de ces navires, souvent vétustes, qui souvent dépassent en âge ceux que l’on voit habituellement en mer Baltique. Selon Skinnerup, il y a quelques années encore, ces eaux ne recueillaient pas de tankers de plus de 20 ans. À l’époque, les grandes compagnies pétrolières refusaient d’utiliser des navires dépassant 18 ans. Aujourd’hui, cette limite semble dépassée, comme le montrent les suivis de navigation via MarineTraffic, qui attestent d’un renouvellement de la flotte en âge.

Le pilote critique aussi l’état technique et sanitaire des navires, souvent défaillant. Les équipages — peu qualifiés pour comprendre leurs propres limites — semblent parfois ignorer qu’ils ne traversent pas les eaux comme ils le pensent. « Parfois, j’ai l’impression qu’ils s’en fichent complètement », poursuit Skinnerup. « Et quand je quitte le bord, je me demande vraiment comment ils font pour arriver à bon port sans encombre. »

Une impuissance face à des navires non arrêtables

Pour le moment, personne – pas même les gouvernements ou la marine – ne semble capable d’arrêter ces navires suspectés d’être dangereux. Selon la convention des Nations unies sur le droit de la mer, aucun État ne peut stopper un navire en transit pacifique au large de ses côtes. La surveillance se limite donc à l’observation, sans intervention possible. La plupart des pays, en effet, se contentent de suivre leur passage, en particulier en France, en Allemagne ou en Scandinavie.

Suivi rapproché d’un convoi sous escorte militaire russe

En avril dernier, une équipe du NDR accompagne une force navale allemande participant à un exercice international au large de l’île danoise de Bornholm — dans une zone où transitent quotidiennement ces mystérieux navires. Objectif : soutenir l’opération « Baltic Sentry » de l’OTAN, visant à surveiller et dissuader la flotte ombrée, simplement par leur présence visible en mer. Par le passé, plusieurs incidents avaient été rattachés à ces navires clandestins, liés parfois à des actes de sabotage ou d’espionnage.

L’exercice est commandé par le navire de commandement « Mosel ». Au petit matin, une communication radio précise : interdiction d’accéder au pont. La présence de supertankers et de navires russes à proximité est signalée. L’équipage observe un convoi formé d’un supertanker, d’un cargo et de deux corvettes russes. La tension est palpable, la surveillance étroite.

Après l’exercice, le commandant allemand Mario Bewert indique que sur les navires russes, des armes étaient probablement en état de marche. Sur la plateforme située à côté de la passerelle — appelée le « Nocken » —, des soldats étaient déployés. « Il y avait même des mitrailleuses, apparemment armées », détaille-t-il. La marine allemande, en coordination avec la marine danoise, a ensuite escorté ce convoi jusqu’à nos côtes françaises, dans un contexte de tensions accrues en mer Baltique.

Un avion de combat protège un convoi suspect près de l’Estonie

Ce genre de rencontres peut rapidement dégénérer, comme ce fut le cas en mi-mai au large de l’Estonie. La garde côte estonienne tente d’intercepter un supertanker, probablement pour le contrôler. Aussitôt, la Russie dépêche un avion de chasse — pour dissuader, apparemment. Selon les authorities locales, l’appareil russe serait même entré dans l’espace aérien estonien. Le ministre estonien des Affaires étrangères, Margus Tsahkna, a confirmé la gravité de la situation : « La situation en mer Baltique est très tendue. »

Une flotte clandestine bâtie en réponse aux sanctions

Un des plus grands spécialistes des sanctions contre la Russie, Robin Brooks de la Brookings Institution, explique que cette flotte clandestine a été créée en réponse aux mesures occidentales lancées après le début de la guerre en Ukraine. Les États du G7 — dont la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis — ont imposé un plafond sur le prix du pétrole russe, afin d’en limiter les recettes. La Russie doit continuer à exporter son pétrole, mais à un prix fixé par l’Occident. Bien entendu, cela pousse certains à contourner rapidement ces restrictions, et la flotte parallèle s’est développée.

Selon Brooks, en achetant principalement de vieux navires, la Russie a créé une flotte d’ombres — composée de navires obsolètes, dont certains sont à la limite de la rupture. Ces sirènes de la mer seraient opérées de façon opaque, pour dissimuler leur provenance et contourner les sanctions. La quantité exacte de cette « flotte ombrée » reste incertaine, mais une estimation de l’université ukrainienne Kyiv School of Economics évoque environ 650 navires.

Un commerce très lucratif, jusqu’à 40 millions de dollars par an

Un informateur anonyme proche du secteur maritime a confié au NDR que l’exploitation de ces navires clandestins serait très rentable. En un seul an, un seul tanker aurait généré entre 30 et 40 millions de dollars, en transportant du pétrole brut russe. Ces vieux supertankers, souvent appelés dans le secteur « tonneaux rouillés », seraient achetés pour une somme approximative de 12 millions d’euros. La majorité de ces bateaux seraient opérés depuis le Moyen-Orient, l’Inde ou d’autres pays d’Asie du Sud.

« En général, chaque propriétaire ne possède qu’un seul navire, afin d’éviter de s’exposer à des sanctions. », précise cet insider. « Ainsi, en limitant le nombre de navires, ils réduisent aussi leur vulnérabilité en cas de détection et de sanctions. » L’Union européenne a inscrit à sa liste noire environ 342 supertankers de cette flotte ombrée.

Une efficacité limitée des sanctions occidentales

Selon l’analyse de Robin Brooks, les mesures restrictives des Occidentaux ont un réel impact. Lorsqu’un supertanker est sanctionné et interdit de naviguer dans l’UE ou aux États-Unis, son activité chute très rapidement. Cependant, cela ne veut pas pour autant dire que ces sanctions sont une réussite globale. « Nous disposons des moyens, nous savons quoi faire, mais nous ne l’avons pas encore appliqué. » déplore Brooks. « Après plus de trois ans de conflit en Ukraine, la réaction reste encore trop timide. »

Une procédure européenne inefficace pour approuver de nouvelles sanctions

Selon une étude de l’institut Kyiv School of Economics, malgré ces efforts, la Russie a continué en 2022 à tirer profit de ses exportations d’énergie. Plus de 230 milliards de dollars ont été engrangés grâce au pétrole et au gaz. La Commission européenne a proposé un nouvel ensemble de sanctions, notamment contre les navires de la flotte ombrée, dans le cadre du 18e paquet présenté en juin. Mais l’adoption par les États membres s’avère compliquée, en raison des désaccords persistants, notamment dans des pays comme la Hongrie ou la Grèce. Le processus décisionnel est long, et la majorité nécessaire pour approuver ces mesures reste incertaine.

Une unanimité difficile à obtenir pour renforcer les sanctions

La ministre lettonne des Affaires étrangères, Baiba Braže, a indiqué à l’NDR que son pays soutenait la sanction des supertankers clandestins, mais que la procédure était difficile. Pour faire inscrire un navire sur la liste européenne des sanctions, il faut fournir des preuves solides, et l’accord doit être unanime. Cela ralentit considérablement la mise en œuvre des mesures restrictives.

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