Come une expérience désagréable à table, même éloignée dans le temps, peut laisser des souvenirs durables dans notre cerveau ?
Une bouchée de sushi qui n’était pas fraîche et qui nous a donné mal au ventre peut suffire à ruiner à jamais notre rapport avec ce type de nourriture. Mais comment une seule intoxication alimentaire, même ancienne, peut-elle laisser une trace aussi profonde dans notre mémoire ? Une équipe de chercheurs en neurosciences de l’Université de Princeton a identifié le mécanisme cérébral qui permet de se souvenir des aliments qui nous ont posé problème, afin de les éviter à l’avenir.
Ce travail, publié dans la revue Nature, peut sembler traiter d’un sujet « niche », mais il a en réalité une portée bien plus large. Comprendre comment le cerveau établit des connexions entre des événements distants dans le temps pourrait en effet éclairer la recherche et la thérapie des maladies liées à des souvenirs traumatiques, et pas seulement ceux liés à l’alimentation.
Une mémoire à retardement
Avec un retard surprenant. Bien que tout un chacun ait été confronté à une intoxication alimentaire au moins une fois dans sa vie, le processus par lequel cette expérience se gravait dans le cerveau demeure encore mystérieux. Ces expériences diffèrent en effet grandement d’autres formes d’apprentissage liées à la douleur physique, notamment à cause du délai entre l’ingestion d’un aliment toxique et l’apparition des symptômes.
Je ne veux plus la revoir !
Les chercheurs ont simulé une intoxication alimentaire chez des souris en leur proposant une boisson artificielle très sucrée au goût de raisin, suivie d’une injection d’une substance provoquant un malaises à court terme, mimant les symptômes d’une intoxication. Deux jours plus tard, les souris qui avaient été exposées à cette boisson avaient naturellement tendance à l’éviter, préférant boire de l’eau à la place.
Le centre d’apprentissage
Christopher Zimmerman, principal auteur de l’étude, a observé que, durant chaque étape de l’expérience, l’association entre la boisson et le malaise activait l’amygdale centrale. Cette région du cerveau abrite des neurones impliqués dans l’apprentissage des émotions, de la peur, mais aussi dans l’analyse des stimuli environnementaux tels que les saveurs et les odeurs. Ces cellules demeuraient actives lorsque les souris buvaient et découvrent le nouveau goût, lorsque elles allaient mal, et surtout durant leur souvenir de l’événement négatif, ce qui leur faisait éviter de boire le même liquide par la suite.
La faute à ce que j’ai mangé !
Les scientifiques ont également reconstitué comment le signal de malaise voyage de l’intestin vers le cerveau. Selon eux, de nouveaux goûts pourraient temporairement rendre certaines cellules cérébrales sensibles aux signaux de malaise qui durent plusieurs heures après le repas, ce qui leur permettrait d’être réactivées en cas de sensation désagréable réelle. Ainsi, les neurones parviendraient à faire le lien entre la cause du mal-être et son effet, même si du temps s’est écoulé depuis l’incident.
Un exemple illustratif
« Souvent, dans la vie réelle, il y a un retard important entre une décision que l’on prend et les conséquences qui en découlent. Ce phénomène est peu étudié en laboratoire, ce qui limite notre compréhension des mécanismes neuronaux à l’œuvre dans ce type d’apprentissage sur de longues périodes », explique Zimmerman. Cette découverte pourrait éclairer la façon dont se forment les souvenirs chez les personnes ayant subi un traumatisme, notamment celles souffrant de trouble de stress post-traumatique (TSPT).