Les adultes non seulement peuvent, mais doivent protéger les enfants contre la violence et les émotions trop intenses. La priorité doit être donnée à la protection des plus petits, qui disposent de moins d’outils pour gérer l’impact de la tempête de violence qui s’abat sur nous. Il est crucial de veiller à leur bien-être et à leur sécurité psychologique dans un contexte marqué par des crises successives, aussi bien dans le monde que dans notre quotidien.
En retraçant les principaux événements marquants de ce début de siècle, plusieurs dates importantes méritent d’être rappelées :
- 11 septembre 2001, attentat aux Tours Jumelles à New York ;
- 20 mars 2003, début de la guerre en Irak ;
- 15 mars 2011, commencement du conflit civil en Syrie ;
- 23 février 2022, invasion de l’Ukraine par la Russie.
Mais il existe une autre date sur notre calendrier : le 9 mars 2020, le jour du début du confinement lié à la pandémie de COVID-19. Depuis cette date, la vie de nos familles a été profondément bouleversée ; ce qui se passait « dehors », dans le monde, est brusquement entré dans nos foyers avec une force inouïe, mettant tout en question. Les images des guerres, celles des réfugiés fuyant leur pays, des cercueils sortant des hôpitaux comme à Bergame ou des personnels soignants épuisés mais dévoués, ont devenir partie intégrante de notre quotidien. Il faut aussi rappeler que la famille, ce n’est pas seulement la cellule familiale classique, mais aussi tous les enfants et les jeunes qui la composent, ces témoins silencieux ou vigilants, souvent beaucoup plus sensibles qu’on ne le pense.
La guerre en Ukraine s’insère dans cette période déjà marquée par la pandémie de COVID-19, sans interruption. Deux années de crise sanitaire ont profondément marqué tant les adultes que les enfants. Et alors que nous pensions essayer d’en sortir, les premiers signes d’espoir ont été brutalement anéantis par les images de la guerre : des villes et des villages proches de chez nous, que nous reconnaissons et que nous voyons en danger, sont bombardés, traversés par des chars, sous le bruit de sirènes d’alerte, comme si tout cela se passait en direct à la télévision.
Pouvons-nous protéger les enfants ?
Il ne s’agit pas uniquement d’une possibilité, mais d’une obligation pour les adultes : il faut agir pour préserver nos jeunes de la violence et des émotions exacerbées. La protection doit surtout concerner les plus petits, ceux qui disposent de moins de moyens pour « gérer » la tempête violente qui s’abat sur nous (nous avons déjà évoqué, dans un autre contexte, comment expliquer la guerre aux enfants).
De plus, il faut garder à l’esprit que de nombreux enfants ont déjà été fortement éprouvés par la COVID-19. La récente crise peut donc générer chez eux un stress supplémentaire, plus intense que ce que l’on aurait pu anticiper. Voici quelques pistes concrètes pour accompagner cette période difficile.
Télévision et internet
Les images du conflit en Ukraine défilent à toute allure sur nos écrans : réfugiés dans des stations de métro, immeubles détruits, chars qui défilent dans les rues, sirènes qui retentissent, missiles qui s’envolent. Ces visions coupent le souffle et peuvent facilement impressionner les enfants, même les plus jeunes. Une seule image forte peut suffire à leur faire se demander : « Est-ce que cela arrivera aussi chez nous ? ». Apprendre que la France a décidé de fermer l’espace aérien à l’aviation russe, ou à l’opposé, suivre en direct les évènements, peut donner l’impression que le danger est désormais chez soi, qu’il n’est plus simplement distant.
Les responsabilités des adultes dans l’éducation imposent de faire des choix conscients quant à ce que nos enfants peuvent ou ne peuvent pas voir à la télévision, tout comme nous choisissons ce qu’ils mangent ou comment ils s’habillent. Étant donné que la plupart des retransmissions sont en direct et qu’on ne peut pas prévoir ce qui sera diffusé, une solution radicale consiste à couper la télévision ou à ne pas la laisser allumée lorsque les enfants pourraient la regarder.
Rappelons que, lors du 11 septembre 2001, de nombreux enfants ont été profondément perturbés par les images qu’ils ont vues sur des téléviseurs restés allumés en permanence pour suivre le déroulement immédiat de l’événement : cette exposition prolongée à la violence télévisée a laissé des traces, souvent des cauchemars et un mal-être qui ont duré bien au-delà des événements eux-mêmes.
Couper le TV n’est pas une décision simple. Certains pourraient dire : « La réalité ne se cache pas, il faut la vivre ». Mais sommes-nous sûrs qu’il ne vaudrait pas mieux limiter ce qui est montré, ou du moins expliquer et accompagner ? Ne risquons-nous pas, au contraire, de tomber dans une forme de voyeurisme médiatique où tout doit être vu, à tout prix ? La course au scoop et à l’audience peut engendrer une cruauté gratuite dans les images diffusées, que nous pouvons refuser en tant que parents ou éducateurs responsables.
Si vraiment nous ne pouvons pas totalement couper, au moins devons-nous faire le tri lors de la diffusion, en expliquant, en discutant, en posant des questions. Il ne faut pas laisser la télévision gérer seule la relation des enfants au monde. La réalité, surtout pour les petits, est encore très proche d’eux : tout ce qu’ils voient semble souvent tout à fait réel, car leur perception du monde n’est pas encore totalement différenciée de la nôtre. Il est donc primordial de rester proches d’eux, pour leur transmettre un sentiment de sécurité et leur montrer que nous sommes là pour les protéger.
Il peut également être judicieux d’éviter de suivre les informations à des moments où ils pourraient voir ce qui leur cause du stress, par exemple tard le soir.
Les « bons » et les « méchants » ?
Le portrait, parfois simpliste, de Poutine comme un « fou » et un « bourreau », tend à faire porter la responsabilité de tous les maux à la seule Russie, du moins au peuple russe dans son ensemble. Les généralisations ne permettent pas de mieux comprendre ce qui se passe ; elles donnent souvent une impression d’évidence qui repose sur rien de concret.
En tant qu’adultes, nous devons faire preuve de beaucoup de rigueur dans nos mots et nos jugements. Il est essentiel de toujours expliquer nos opinions aux enfants, en étant attentifs au vocabulaire que nous employons. Par exemple, dans cette période, il ne faut pas faire croire que les Russes seraient intrinsèquement « mauvais » ou « responsables » de cette guerre. Au contraire, il est bon d’insister sur le fait que beaucoup de Russes sont eux aussi victimes de cette situation absurde, et qu’ils souffrent autant que d’autres.
Il est également utile d’éviter d’alimenter la guerre par un langage guerrier ou militariste : bannir les expressions vulgaires ou immédiates, comme « faire le ménage », « foncer à l’assaut », ou « bombe d’info ». Ces termes, banals dans le langage courant, prennent une tout autre signification dans le contexte actuel. Notre rôle, en tant qu’adultes, est de préserver un langage respectueux et apaisé, qui évite de transformer la violence en une banalité ou un sujet de divertissement.
Les proches, pas les lointains
Il ne faut pas non plus tomber dans la simplification de la morale du « bon » contre le « méchant ». Au contraire, la réalité est souvent bien plus nuancée. Dans nos écoles et crèches, il existe aujourd’hui des enfants russes, ukrainiens, biélorusses – souvent nés en France – qui découvrent tout à coup combien un simple passeport peut faire la différence. Après le 11 septembre, nous avons vu que certains enfants musulmans ont été ciblés et discriminés. Peut-on agir pour que cela ne se reproduise pas ? Les écoles et les crèches doivent rester des espaces sûrs pour tous, et il incombe aux adultes de s’engager pour que cela soit une réalité. Il faut renforcer autant que possible les encouragements à la coopération, à la convivialité et à la solidarité entre tous. Il est également important d’anticiper les moments de tension ou de conflit, sans sous-estimer leur potentiel de dégât. Tout cela revient à prévenir toute forme de discrimination, même temporaire.
Prendre le temps
Il existe deux actions essentielles pour rassurer et rassasier le cœur des jeunes : la lecture d’histoires et le jeu.
Les livres pour enfants regorgent d’images positives et d’imagination saine, avec des histoires de rencontres, de défis, de personnages aux caractères divers, ainsi que de solutions créatives. Ils permettent aussi de passer du temps ensemble, en donnant aux adultes l’occasion de faire sentir aux enfants qu’ils sont présents, qu’ils peuvent les protéger, et qu’ils ne sont pas seuls face à la tempête.
Le jeu constitue une autre ressource précieuse : il s’agit d’un temps de détente, de divertissement comme de construction, qui aide à grandir et à alléger l’atmosphère pesante. Rire ensemble, c’est aussi bon pour la santé mentale et physique de tous.
Soyez attentifs aux signes
Pour finir, il est indispensable de rester attentive aux signaux de mal-être chez les enfants. Une petite fuite urinaire, un regard qui s’attarde plus longtemps que d’habitude, des demandes répétées pour dormir avec un adulte ou dans le même lit : toutes ces petites actions traduisent une inquiétude, une anxiété normale face à un contexte difficile. Cependant, si ces comportements deviennent chroniques ou accentués, cela peut indiquer une souffrance plus profonde.
Quand faut-il s’inquiéter ? Lorsqu’un enfant refuse d’aller à l’école, ou évite de jouer dehors, ou a peur d’accomplir des gestes simples comme aller aux toilettes seul. Dans ces cas précis, consulter un professionnel peut s’avérer très utile pour éviter que la situation ne s’aggrave, et pour accompagnant les enfants dans la gestion de leur