La piège de l’évitement : comment surmonter la peur grâce à l’exposition

Perception de danger : réaction de type lutte ou fuite

Comme on le sait, d’après l’expérience quotidienne, nous avons tendance à éviter ce qui nous fait peur. Ce mécanisme automatique de protection, inscrit dans notre évolution, est à la fois adaptatif et utile pour nous préserver face au danger.

Lorsque nous sommes confrontés à un stimulus, notre cerveau réalise immédiatement une évaluation de celui-ci, lui attribuant une connotation positive, négative ou neutre. En même temps, il analyse les ressources dont nous disposons pour faire face à une éventuelle menace.

Le résultat de cette balance entre ces deux évaluations cognitives détermine le niveau d’activation émotionnelle (le arousal): plus la différence perçue entre le danger potentiel et nos ressources est grande, plus les émotions négatives et intenses seront présentes.

Ce processus d’analyse et d’évaluation du danger active le système nerveux sympathique, avec son mécanisme de réaction de type « lutte ou fuite » (fight or flight), qui déclenche une série de réactions neurochimiques et biologiques. Ces réactions ont pour but d’affronter la menace ou, si cette dernière est jugée trop grande par rapport à nos capacités, de fuir. Ainsi :

  • le rythme respiratoire s’accélère pour oxygéner plus efficacement le sang ;
  • le rythme cardiaque et la pression artérielle augmentent, permettant au cœur de pomper plus rapidement et de fournir de l’énergie aux muscles des jambes et des bras ;
  • on observe une vasodilatation des artères coronaires et musculaires ainsi qu’une vasoconstriction cutanée pour limiter le risque d’hémorragie en cas de blessure ;
  • le système immunitaire se mobilise ;
  • les réserves de sucre sont libérées pour optimiser l’apport énergétique ;
  • la digestion ralentit afin de conserver de l’énergie ;

L’anxiété anticipatoire

Chez l’humain, la faculté de prévoir et d’anticiper permet une évaluation encore plus fine des stimuli menaçants, avec la possibilité de prévoir un danger avant même qu’il ne se manifeste. C’est pourquoi, en plus de la réaction de peur face à une menace réelle et présente, on éprouve aussi une autre émotion, appelée anxiété, ou plus précisément anxiété anticipatoire.

Avant même que le stimulus ne se produise, l’organisme commence à se mobiliser à un niveau physiologique, émotionnel et cognitif, avec toute une série de pensées et d’images négatives et catastrophiques.

Il est important de noter que, pour un humain, le danger ne réside pas uniquement dans ce qui menace l’intégrité physique ou la sécurité (attaque d’un animal sauvage, accident de voiture, agression armée, etc.), mais aussi dans ce qui menace notre bien-être psychologique, notre image et notre estime sociale. Cela permet de comprendre à quel point notre système est soumis en permanence à des conditions de tension et de détresse incessantes.

La réaction d’activation face au danger est en effet très coûteuse en termes physiques et psychiques et génère un niveau important de malaise, que la personne tendra instinctivement à vouloir réduire ou éliminer au plus vite.

Évitement et sensation de soulagement : le renforcement négatif

Lorsqu’on s’éloigne d’un stimulus perçu comme menaçant, on ressent immédiatement une sensation de soulagement et une détente de l’activation physiologique et psychologique. Cela se produit aussi lorsque l’on décide d’éviter une situation future que l’on a déjà considérée comme dangereuse, face à laquelle nous ressentons un haut niveau d’anxiété anticipatoire.

Par exemple, pensez à l’angoisse que l’on éprouve avant de passer un examen, qu’il s’agisse d’un examen scolaire, universitaire ou professionnel, d’une échéance ou d’une présentation importante. On se rappelle rapidement la sensation de gêne au niveau de l’estomac, la tension musculaire, les pensées catastrophiques et l’agitation.

Si, dans ce moment d’angoisse intense, l’idée nous traverse de fuir ou d’éviter cette épreuve, on ressent immédiatement cette sensation de soulagement et de légèreté : cette libération rapide par rapport à l’angoisse précédante est ce qu’on appelle un renforcement négatif.

Il est probable que, lors des tentatives suivantes de faire face à la même étape, on recourra encore à cette stratégie, car on a appris qu’elle fonctionne à coup sûr pour nous aider à nous sentir mieux. On finit par croire que la seule façon d’apaiser cette sensation de malaise est d’éviter.

Ce phénomène crée un apprentissage basé sur le mécanisme du conditionnement opérant ou instrumental, selon lequel on a tendance à reproduire un comportement qui nous apporte un bénéfice (le renforçateur). Dans ce cas précis, le renforcement est négatif parce qu’il nous permet de nous soustraire à un état désagréable, comme l’angoisse évoquée précédemment.

L’évitement est donc très efficace à court terme, car il entraîne une baisse rapide du niveau d’angoisse et d’activation physiologique. Mais il peut devenir très problématique à long terme, car il nous conduit à fuir des situations importantes pour nous, notre vie et notre développement personnel, renforçant la croyance que l’on n’est jamais capable d’affronter ses défis.

C’est pourquoi, en thérapie cognitive-comportementale, l’évitement et le renforcement négatif qui en découle sont considérés comme des facteurs de maintien du problème.

L’évitement et la perte de liberté

Ce qui précède nous aide à comprendre l’importance de retrouver peu à peu la liberté de mouvement et d’action que certains troubles, comme les phobies, peuvent nous priver dans notre vie quotidienne.

Une large partie de la thérapie cognitive-comportementale consiste justement à accompagner le patient à s’exposer progressivement face aux stimuli anxiogènes et aux situations de vie devenues « prohibitives » parce qu’elles sont perçues comme menaçantes.

Souvent, un stimulus qui peut apparaître neutre ou même positif devient, après certaines expériences de vie difficiles ou traumatiques, une source de danger en laissant une « trace émotionnelle » dans la mémoire de la personne. Cela suscite des réactions de fort stress et lui donne, à partir de ce moment-là, une connotation négative selon le principe du conditionnement classique.

Une fois qu’un stimulus est devenu négatif par cette voie, le mécanisme du conditionnement opérant et le renforcement négatif lié conduisent à croire que ce stimulus ne peut être affronté, sauf en recourant à l’évitement ou à des comportements préventifs, c’est-à-dire des stratégies d’évitement que la personne utilise comme « béquilles » pour faire face à la situation difficile.

L’évitement dans l’anxiété sociale (ou la phobie sociale)

Prenons l’exemple de la phobie sociale, où le principal problème est la peur du jugement des autres et la crainte de rendre visibles ses symptômes d’activation physiologique liés à l’angoisse et à la honte, tels que rougeur, tremblements, transpiration, bafouillements, manifestations de maladresse et d’embarras.

La personne atteinte de trouble d’anxiété sociale redoute aussi les situations sociales banales, et cette difficulté provient souvent d’expériences négatives passées, où la manifestation de ses symptômes a entraîné des jugements sociaux extrêmement douloureux.

À partir de ces expériences, des croyances négatives et catastrophiques se développent dans l’esprit (« Tout le monde remarquera ma rougeur et me considérera comme un loser »), et la personne aura tendance à éviter les contextes où il y a un risque de jugement social, en particulier ceux qui ressemblent à ses expériences passées.

En alternative, elle peut aussi essayer de faire face en adoptant des comportements de protection, comme se cacher derrière une écharpe ou des vêtements à col haut afin de dissimuler la rougeur.

Le contre-événement : l’exposition progressive

En thérapie cognitive-comportementale, après avoir d’abord travaillé sur l’origine des croyances catastrophiques et tenté de les remettre en question par la restructuration cognitive, on se concentre sur l’exposition progressive aux stimuli menaçants. L’objectif est de redonner au patient sa liberté de mouvement et d’action, fortement limitée par l’évitement.

Ce parcours d’exposition doit être soigneusement planifié par le thérapeute et le patient, selon un principe de progressivité. Lors des séances, une liste d stimulations anxiogènes ou de situations émotionnellement actives est établie, puis classée selon un ordre hiérarchique : du moins au plus anxiogène, avec l’accord de commencer par les plus faibles afin de progresser graduellement vers les plus difficiles.

Par exemple, une personne souffrant d’anxiété sociale et ayant du mal à s’exprimer en public pourrait d’abord parler à une seule personne, puis la difficulté évoluerait si elle doit parler devant plusieurs, si la personne en face occupe une position d’autorité, si elle doit parler à voix haute ou avec un microphone face à une audience : chaque étape représentant un item différent de la même échelle, avec son propre niveau d’activation émotionnelle.

L’intérêt de l’exposition : pourquoi cela marche ?

Les recherches scientifiques et l’expérience clinique montrent que l’exposition est une méthode très efficace pour dépasser les limitations causées par de nombreux troubles psychologiques (phobies, trouble panique, anxiété sociale, trouble obsessionnel-compulsif, troubles liés à la santé, etc.).

Mais pourquoi cette technique est-elle aussi efficace ? Quels mécanismes psychologiques sont mis en jeu ? Plusieurs existent, et en fonction du principe qui guide la démarche thérapeutique, le clinicien choisira celui qui est le plus adapté.

Un premier principe repose sur le phénomène d’habituation, basé sur le facteur du « temps » : en effet, lorsqu’un stimulus déclenche notre réaction de peur, cette réponse atteint rapidement un sommet, puis, si l’exposition se prolonge, notre organisme fini par s’y habituer, et le niveau d’activation diminue peu à peu.

La relation entre la « intensité de l’émotion » et le « temps » prend la forme d’une courbe en cloche, ou en U inversé. Cela veut dire qu’au fil du temps, après avoir atteint un pic, la sensation désagréable tend à s’atténuer en quelques minutes.

Exposition en imagination

Parfois, avant de pratiquer une exposition dans la réalité, il est conseillé de commencer par une visualisation mentale avec le thérapeute : le patient imagine dans les détails le stimulus menaçant, en portant une attention particulière à son niveau d’activation, en utilisant par exemple une échelle de 0 à 10.

L’objectif est de passer au stimulus suivant seulement lorsque le premier ne provoque plus d’activation significative, ou que le niveau a diminué à un point très faible.

Ce processus d’habituation peut aussi être combiné avec une autre technique appelée désensibilisation systématique.

Lors de cette étape, au moment culminant de l’activation, le thérapeute guide le patient dans la pratique de techniques de relaxation, qu’il aura appris auparavant, afin de provoquer un contre-conditionnement : le stimulus déclencheur commencera ainsi à être associé à un état de relaxation plutôt qu’à la tension.

Exposition comme expérience comportementale

Une autre raison pour laquelle on invite le patient à s’exposer consiste à contester certaines croyances négatives ou catastrophiques qu’il peut avoir.

Par exemple, si un patient souffre d’anxiété sociale et pense que dans un contexte public, tout le monde l’observe et le juge à cause de ses symptômes anxieux, on peut instaurer un expérience comportementale pour tester cette hypothèse.

Le patient, dans un lieu public qu’il craint, comme un bus, pourrait alors faire face à sa plus grande crainte : lever la tête et compter combien de passagers le regardent réellement, comparé à ceux qui regardent ailleurs.

Exposition pour augmenter l’acceptation et la tolérance émotionnelle

Enfin, un autre principe puissant consiste à augmenter sa résilience face au scénario le plus défavorable, en contredisant la croyance selon laquelle faire face aux conséquences redoutées serait « insupportable » ou « inacceptable ».

Par exemple, une personne craignant de montrer ses symptômes d’anxiété sociale pourrait vivre une situation redoutée, comme faire tomber sa tasse en causant du tremblement et attirer l’attention, ou bafouiller et devenir rouge en parlant avec quelqu’un. Elle pourrait ainsi découvrir que même si certains la jugent maladroite ou ridicule, cela ne constitue pas la fin du monde.

La honte, malgré sa nature désagréable, devient alors tolérable : toutes les émotions peuvent être supportées. Ces exercices d’exposition renforcent aussi l’acceptation et la compassion envers soi-même.

Il ne s’agit là que de quelques exemples d’application pratique de la technique d’exposition, qui doit être adaptée en fonction des difficultés du patient, des spécificités du trouble, de sa personnalité et du cadre thérapeutique. La stratégie doit être proposée au bon moment de la thérapie, après d’autres interventions, afin que les émotions provoquées soient supportables et que l’expérience ne devienne pas, d’une manière ou d’une autre, « retraumatante ».

Surtout, cette approche doit être convenue avec le patient. Il doit comprendre et partager la logique sous-jacente, et une bonne alliance thérapeutique doit être établie. Ce sont des éléments essentiels pour renforcer la motivation à suivre le traitement, même lorsque la démarche peut devenir très éprouvante émotionnellement.

Article pensé et écrit par :
Avatar de Jerry Guirault
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