Il y a quelques années, nous nous demandions si l’idée d’une ligne de 170 kilomètres de gratte-ciel au cœur du désert ressemblait plus à un paradis, comme ses promoteurs le revendiquaient, ou à un cauchemar : aujourd’hui, alors que The Line — ce projet fou — est en train de devenir une réalité en Arabie Saoudite, le pays a chargé plusieurs cabinets de conseil d’effectuer une révision stratégique de ses plans. L’objectif est de déterminer si le projet reste viable ou s’il doit être modifié pour pouvoir continuer, compte tenu des nombreux défis rencontrés.
Une révision motivée par la conjoncture économique
Cette décision trouve en partie sa source dans la nécessité pour le gouvernement saoudien de réévaluer ses dépenses. Face à la baisse constante des prix du pétrole — une ressource essentielle pour l’économie du pays — et à une moindre attractivité pour les investisseurs étrangers, les autorités sont contraintes de revoir à la baisse leurs ambitions. En effet, les revenus issus de l’or noir n’étant plus aussi stables que par le passé, la pression financière pousse à une réévaluation des grands projets, comme celui de The Line.
Les difficultés internes à Neom
Même au sein de la société promotrice de ce projet, Neom, les tensions et les problèmes se sont accumulés. La cité, censée accueillir initialement 1,5 million d’habitants d’ici à 2030, aurait vu ses ambitions réduites à seulement 300 000 habitants, selon des sources citées par Bloomberg. Au cours de la dernière année, plusieurs hauts responsables ont quitté l’entreprise. Parmi eux, Nadhmi al-Nasr, le directeur général, qui a démissionné brusquement après six ans à la tête du projet. Ont également quitté leur poste Wayne Borg, le responsable de la communication, et Antoni Vives, en charge de l’urbanisme.
Par ailleurs, les restrictions budgétaires ainsi que l’augmentation du coût des travaux ont fortement impacté le projet. Alors que le budget initial de la cité était estimé à 500 milliards de dollars, celui-ci aurait été doublé pour atteindre environ 1 500 milliards de dollars. Ce changement a contraint Neom à réduire la longueur de la ligne de gratte-ciel, qui, initialement fixée à 170 km, n’en fera plus que 105 km. Certaines structures essentielles, telles que la station de dessalement de l’eau — un investissement estimé entre 1,5 et 2 milliards de dollars, capable de fournir 30 % de l’eau nécessaire à la ville — ont été purement et simplement abandonnées.
Une vidéo pour mieux comprendre le projet
[Une vue de la vidéo insérée ici]
Les critiques sur les conditions de travail
Au-delà des défis financiers, le chantier de Neom a également été vivement critiqué pour les conditions de travail imposées à ses employés. Plusieurs témoignages évoquent des heures longues et des conditions difficiles sur le terrain. Dans un documentaire de la chaîne britannique ITV, intitulé Kingdom Uncovered: Inside Saudi Arabia, un travailleur, qui a souhaité garder l’anonymat, a décrit des journées de 16 heures, effectuées par cycles de 14 jours, pour participer à la construction de The Line. Il a également dénoncé la mort de dizaines de milliers d’ouvriers étrangers impliqués dans différents projets liés à la Vision 2030, le programme de diversification économique saoudien.
Une communication qui maintient l’illusion
Malgré toutes ces difficultés et ces controverses, Neom persiste dans sa communication euphorique. La société continue de présenter le projet comme une œuvre utopique, une vision futuriste à laquelle il faut croire. Selon un communiqué publié par Bloomberg, un porte-parole a indiqué que « dans le cadre de projets de grande envergure et pluriannuels, il est habituel de revoir la stratégie à plusieurs reprises ». Il a ajouté que « The Line reste une priorité stratégique et que Neom s’engage à assurer la continuité opérationnelle, en accélérant ses progrès pour réaliser la vision globale et atteindre ses objectifs ».
Ce commentaire semble vouloir faire fi des difficultés actuelles, en insistant sur la détermination du projet à poursuivre, quoi qu’il en coûte, dans une dynamique qui pourrait paraître bien lointaine de la réalité sur le terrain. La mégastructure saoudienne reste pour l’instant une promesse d’un avenir radicalement différent, mais le chemin transportant cette utopie semble de plus en plus semé d’embûches.