Les hormones et le cerveau
« De petites variations dans les niveaux prénataux d’hormones stéroïdes, comme la testostérone et les œstrogènes, peuvent prédire le degré d’apprentissage social et cognitif chez les nouveau-nés, voire influencer la probabilité de développer des troubles tels que l’autisme. Cela nous a amenés à envisager leur rôle dans l’évolution humaine », explique Alex Tsompanidis, chercheur principal au Centre de recherche sur l’autisme de l’Université de Cambridge, et auteur principal de l’étude.
Avec ses collègues, Tsompanidis s’est efforcé d’identifier les mécanismes physiologiques qui auraient pu favoriser l’émergence de notre espèce, particulièrement notre aptitude à vivre en grands groupes sociaux complexes, un contexte qui a également conduit au développement de cerveaux plus volumineux et plus performants. Parmi ces mécanismes, l’un pourrait impliquer les hormones stéroïdes prénatales telles que la testostérone et les œstrogènes, qui sont des messagers chimiques auxquels le fœtus est exposé durant la grossesse, et qui peuvent influencer à la fois le développement cérébral et le comportement social de l’humain.
La placenta : un organe dédié aux échanges hormonaux
Des recherches antérieures sur de petits organoïdes de cerveau humain ont permis, pour la première fois, de clarifier les effets de ces hormones sur le développement cerebral : la testostérone, principale hormone mâle, peut augmenter la taille du cerveau, tandis que les œstrogènes, principales hormones femelles, améliorent la connectivité entre neurones.
Et la placenta ? C’est le point de rencontre entre ces hormones et le futur bébé, car elle relie les systèmes endocriniens de la mère et de l’enfant. Cet organe produit en effet des hormones tout au long de la grossesse, tout en fournissant des nutriments et des anticorps au fœtus, et en régulant l’échange d’oxygène et de dioxyde de carbone.
Les avantages procurés par la placenta humaine
Il ne faut pas non plus négliger le fait que la placenta régule la durée de la grossesse, en produisant des hormones et en synchronisant des processus physiologiques essentiels pour la mère et l’enfant. Mais alors, comment la placenta humaine pourrait-elle nous avantager, en favorisant – selon l’hypothèse des chercheurs britanniques – un cerveau plus volumineux ?
Selon cette nouvelle étude, cela se ferait en favorisant la production d’œstrogènes par rapport à celle de la testostérone, grâce à un enzyme appelé l’aromatase, qui est plus abondant dans la placenta humaine comparée à celle d’autres primates.
Ce enzyme transforme la testostérone en œstrogènes, hormones plus présentes durant la grossesse humaine que chez d’autres espèces proches, et jouant un rôle clé dans la régulation de la différenciation sexuelle.
Pour que l’humain ait pu former des groupes sociaux complexes, il fallait maintenir une fertilité élevée chez les femelles et réduire les conflits potentiels entre mâles pour l’accès aux partenaires et aux ressources. Des niveaux élevés de testostérone par rapport aux œstrogènes avant la naissance favorisaient une orientation plus masculine, aussi bien au niveau des caractéristiques physiques (force, taille) que des comportements (compétition). Cependant, chez l’humain, ces différences sont atténuées par rapport à d’autres primates et à des espèces éteintes comme les Néandertaliens. On observe plutôt une dominance des caractéristiques liées aux œstrogènes, comme une réduction de la pilosité.
Un organe transitoire mais crucial pour notre évolution
Tous ces éléments s’assemblent pour soutenir l’hypothèse que la placenta aurait permis d’augmenter la taille et la connectivité de nos cerveaux, en régulant finement l’exposition du cerveau foetal aux hormones stéroïdes et en favorisant un apport plus important d’œstrogènes sur la testostérone. Cet équilibre aurait contribué à réduire les conflits entre mâles, à améliorer la fertilité des femmes sapiens, et à favoriser la constitution de groupes sociaux plus grands, cohesifs et complexes. Ces structures plus sophistiquées auraient, à leur tour, nourri et accéléré l’évolution de notre cerveau, le rendant plus adaptatif et social.