Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) n’est pas un trouble anxieux : découvrez les trois émotions craintes chez les personnes atteintes

Le DOC et ses émotions

Le trouble obsessionnel compulsif (TOC) est une affection psychologique particulièrement invalidante, souvent chronique, qui se caractérise par la présence d’obsessions et de compulsions. Ces deux dimensions constituent le cœur de ce trouble complexe.

Les obsession sont des pensées, impulsions ou images mentales involontaires qui surgissent de façon intrusive et perçue comme perturbante par la personne concernée. Les compulsions, quant à elles, sont des comportements visibles ou des actions mentales visant à réduire, éliminer ou prévenir la mal-être associé aux obsessions (American Psychiatric Association [APA], 2013).

Jusqu’à récemment, le TOC était classé parmi les troubles anxieux, mais les manuels diagnostiques modernes le décrivent aujourd’hui comme un trouble aux manifestations variées, y compris sur le plan affectif et motivationnel.

Cela est illustré par le fait que la classification internationale a reconnu le TOC comme une entité distincte, différente des autres troubles anxieux. Les termes comme « anxiété » ou « peur » ont été remplacés par des expressions telles que « malaise » ou « détresse » pour mieux décrire l’état émotionnel que ressent le patient lorsqu’il est dans un état obsessionnel.

Les différentes formes du malaise émotionnel

Le mot « malaise » désigne, même s’il est vague, une large palette de nuances affectives pouvant accompagner les pensées obsessionnelles.

En effet, le TOC, initialement décrit comme un tableau associé à une angoisse liée à la crainte d’être responsable d’erreurs (obsessions) et au besoin d’éliminer les doutes (compulsions), s’est révélé être un trouble beaucoup plus hétérogène, tant en termes de motivations que d’émotions sous-jacentes aux symptômes.

Responsabilité exagérée et peur de la culpabilité dans le TOC

Le TOC a toujours été associé au thème de la responsabilité et de la culpabilité.

Déjà dans la théorie psychanalytique, Freud avait attribué certains symptômes obsessionnels à un Surmoi excessivement rigide et sévère.

En 1985, Salkovskis a introduit la notion de « responsabilité hypertrophique », c’est-à-dire la conviction que l’individu détient un pouvoir crucial pour prévenir des conséquences catastrophiques liées à certains événements (Salkovskis & Forrester, 2002). Depuis lors, cette notion est au centre de nombreuses recherches sur le TOC et ses mécanismes.

Les études variées – expérimentales ou observationnelles – ont confirmé le lien entre un sens exagéré de responsabilité et la présence des symptômes obsessionnels-compulsifs.

Les études sur la responsabilité exagérée

Lorsque l’on induit un sentiment de responsabilité chez des sujets non atteints, on observe l’apparition de symptômes similaires à ceux du TOC (D’Olimpio & Mancini, 2014 ; Mancini et al., 2004). En revanche, diminuer ce sentiment de responsabilité permet d’améliorer les symptômes chez les patients obsessifs (Lopatka & Rachman, 1995 ; Jónsson et al., 2011).

Ce que confirme la recherche, c’est que la responsabilité exagérée joue un rôle clé dans la genèse du trouble, même en contrôlant d’autres variables importantes comme l’anxiété, la dépression ou encore les symptômes précursifs (Abramowitz et al., 2006).

La notion de peur de la culpabilité

Ce concept de responsabilité démesurée a été étroitement associé à celui de peur de la culpabilité. Ainsi, les personnes atteintes de TOC, convaincues de devoir empêcher tout risque ou erreur, seraient plus enclines à adopter des stratégies visant à neutraliser toute possibilité d’erreur afin d’éviter d’éprouver une émotion de culpabilité.

Actuellement, la peur de la culpabilité constitue un éléments central de la modélisation cognitive-comportementale du trouble (Mancini et al., 2016). Dans cette perspective, les symptômes obsessionnels seraient une façon de prévenir ou d’annuler le sentiment de responsabilité ou de culpabilité liés à une éventuelle negligence (Salkovskis, 1985 ; Rachman, 1993, 2002, 2006 ; van Oppen & Arntz, 1994 ; Salkovskis & Forrester, 2002 ; Mancini & Gangemi, 2004, 2011).

Les études montrent que la peure de la culpabilité est le facteur prédictif le plus déterminant de l’intensité des symptômes obsessionnels, dépassant d’autres variables telles que la sensibilité à la culpabilité ou la propension à ressentir cette émotion (Cosentino et al., 2020).

Expérience du « Just Right » (NJRE) dans le TOC

Les premiers travaux ayant mis en évidence un moteur émotionnel différent de la culpabilité dans le TOC datent de Summerfeldt (2004) et Coles et collaborateurs (2003).

Ces chercheurs ont identifié une catégorie de symptômes du TOC non entièrement expliquée par le cadre de responsabilité exagérée ou de peur de la culpabilité, mais plutôt liée à un besoin de neutraliser ou d’éviter une sensation subjective d’inadéquation, désignée sous le nom de « expérience du Just Right » (NJRE).

La NJRE est décrite comme une sensation subjective que quelque chose ne « doit » pas être comme il est, une gêne ressentie en cas de perception d’inexactitude ou d’incomplétude dans certains objets ou aspects de soi (Coles et al., 2003 ; Rasmussen & Eisen, 1992).

Depuis, de nombreuses études ont souligné l’importance de l’évitement de cette sensation pour l’origine et le maintien des symptômes obsessionnels (Belloch et al., 2016 ; Coles & Ravid, 2016 ; Bottesi et al., 2017 ; Cougle et al., 2013 ; Sica et al., 2015 ; Summerfeldt et al., 2014).

Cette dimension émotionnelle est particulièrement présente chez les patients souffrant de TOC avec des obsessions liées à l’ordre ou à la symétrie (Coles et al., 2003 ; Ferrao et al., 2012), mais certains travaux montrent qu’elle peut être transversale à l’ensemble des types de symptômes (Sica et al., 2016).

Le rôle du dégoût dans le TOC

Ces dix dernières années, un troisième facteur affectif a été identifié comme moteur des comportements obsessionnels-compulsifs : le dégoût.

De nombreuses études, tant expérimentales que cliniques, ont montré que l’évitement du dégoût joue un rôle crucial dans la genèse et la conservation des mécanismes obsessionnels-compulsifs (Cisler et al., 2010 ; Olatunji et al., 2020 ; Melli et al., 2015 ; D’Olimpio et al., 2013).

Ce facteur est particulièrement central dans le TOC lié à la peur de contamination (Calamari et al., 2006 ; Ecker & Gonner, 2008 ; Cisler, Olatunji & Lohr, 2009).

Il existe en effet des patients qui évitent le contact avec la saleté ou des objets jugés « sales » pour craindre d’être contaminés ou de tomber malade, en étant motivés par la responsabilité personnelle et la peur de la culpabilité.

Mais il existe également une autre catégorie de symptômes où la peur de la contamination est liée à un besoin de fuir une émotion de dégoût intense, sans que la personne ait peur de dommages à sa santé (Olatunji et al., 2009).

Bien que le dégoût soit particulièrement marqué dans le TOC de contamination, on le retrouve aussi chez des patients avec des obsessions religieuses (Olatunji, Tolin, Huppert, et Lohr, 2005).

Un nouvel outil pour évaluer les émotions derrière les symptômes

Compte tenu de ces éléments, il devient évident que pour une évaluation complète du TOC, il est essentiel de disposer d’un instrument capable d’identifier précisément les émotions sous-jacentes aux différentes manifestations du trouble.

Or, la littérature actuelle ne fait pas état d’un seul outil permettant de mesurer de manière fiable ces trois dimensions affectives : responsabilité exagérée, dégoût et NJRE.

Face à cette lacune, un récent travail (Carraresi et al., 2024) a permis de développer, d’affiner et de valider un nouveau test auto-administré pour repérer le peur de la culpabilité, le dégoût et la NJRE associées aux symptômes du TOC.

La conception du test

Les chercheurs ont d’abord élaboré un vaste ensemble d’items visant à explorer l’évitement de la culpabilité, du dégoût et de la NJRE, avant de faire relire ces items par un groupe d’experts et de participants non patients afin de recueillir leur avis sur la compréhension, la clarté et la pertinence. Certains items ont été supprimés, d’autres modifiés pour améliorer le tout.

Voici quelques exemples : « Lorsque je pense pouvoir être responsable d’une erreur, je ressens souvent le besoin de l’éviter », « Quand je ressens du dégoût, je veux me nettoyer jusqu’à ce que ça passe », « Je répète mes actions jusqu’à ce que je sois tranquille ».

Après cette étape, une liste initiale de 40 situations a été créée, chaque participant devait indiquer son niveau d’accord sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord). Ce questionnaire préliminaire a constitué la version initiale du test.

Ce dernier a été administré à un échantillon de 323 sujets non souffrants, afin de tester sa structure à trois facteurs. Après avoir sélectionné les meilleurs items pour simplifier l’outil, il a été évalué pour sa cohérence interne et sa stabilité dans le temps.

Les résultats finaux

La version définitive, composée de 18 items répartis en 3 sous-échelles (culpa, dégoût et NJRE), chacune comprenant 6 éléments, a été présentée à un second grand groupe de volontaires non cliniques, toujours en France et recrutés de façon aléatoire.

Cette étude a confirmé la structure à trois sous-échelles et a montré que l’outil possédait des qualités psychométriques solides, avec une excellente fiabilité et une validité robuste, tant en termes de construction que de stabilité dans le temps.

Ce nouvel instrument, nommé Obsessive Compulsive Core Dimensions Scale (OC-CDS), représente donc un outil fiable pour mieux appréhender les facteurs émotionnels sous-jacents à la symptomatologie compulsive-obsessive.

Conclusions

Il apparaît aujourd’hui que le TOC n’est pas un trouble monolithique, mais bien un ensemble hétérogène en ce qui concerne la présentation des symptômes, leur intensité, mais aussi les motivations émotionnelles qui les alimentent.

Il est clair que les émotions que les patients cherchent à éviter ne se limitent pas à l’anxiété ou à la culpabilité, mais incluent aussi le dégoût, le sentiment d’incomplétude ou NJRE.

Ce nouvel outil constitue une avancée importante dans l’évaluation clinique, car il permet d’approcher plus précisément les aspects affectifs à l’origine et à l’entretien du TOC. La reconnaissance de ces dimensions émotionnelles a permis d’adapter et de diversifier les protocoles thérapeutiques existants (Melli et Carraresi, 2023).

La Obsessive Compulsive Core Dimensions Scale (OC-CDS) offre ainsi aux cliniciens un support précieux pour détecter rapidement et précisément ces facteurs émotionnels, favorisant une prise en charge individualisée et éclairée du patient, notamment lors de la phase de diagnostic et de formulation du cas.

Article pensé et écrit par :
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