L’exposition au plomb a-t-elle joué un rôle dans l’évolution humaine ?

Le plomb semble être moins neurotoxique pour le cerveau humain que pour certains anciens hominidés. Cette tolérance accrue nous a-t-elle aidés ?

L’exposition au plomb est nocive pour l’homme, mais elle devait l’être d’autant plus pour certains anciens hominidés aujourd’hui éteints. De nombreuses espèces préhistoriques ont vécu dans des habitats naturellement contaminés par le plomb, en en absorbant des quantités importantes dans leurs dents.

Les Homo sapiens modernes auraient développé la capacité de tolérer l’empoisonnement au plomb mieux que Néanderthal, les Australopithèques, Paranthropus et les anciens représentants de leur propre espèce. Cette tolérance accrue pourrait nous avoir donné un avantage compétitif, nous permettant de survivre face à tous les autres et de peupler la Terre. C’est l’hypothèse, audacieuse et encore à vérifier, contenue dans une étude publiée dans Science Advances.

La recherche sur les dents

Un groupe de chercheurs de la Southern Cross University de Lismore, en Australie, a recherché des signes d’exposition au plomb dans 51 dents fossiles d’anciens grands primates, de singes et d’hominidés issus de diverses parties du monde. Des traces de contamination au plomb ont été trouvées dans 73 % des dents analysées, y compris celles d’Australopithecus africanus, Paranthropus robustus (un hominidé éteint ayant vécu entre 2,3 et 1,2 million d’années auparavant), Néanderthal, Gigantopithecus blacki (un gigantesque singe éteint ayant vécu dans le sud de la Chine il y a 2 millions d’années), d’anciens orangs-outans et babouins.

L’analyse démontre que l’empoisonnement au plomb, traditionnellement associé à la pollution industrielle, aux activités minières et – jusqu’aux années 80 – à l’essence rouge contenant le métal, était une réalité pour nos ancêtres il y a environ 2 millions d’années. Puisque le plomb peut se trouver naturellement dans les roches, comme produit des éruptions volcaniques, dans les eaux, les sols et les plantes qui y puisent leurs racines, les anciens hominidés et les autres primates pourraient l’avoir ingéré via l’environnement.

Les dommages causés par le plomb sur le cerveau — en particulier celui en développement — auraient, selon l’étude, constitué un « plafond » à la capacité de ces espèces à développer des aptitudes sociales complexes.

Plomb : les sapiens le tolèrent-ils mieux ?

L’étude indique en effet que l’homme moderne tolère les effets neurotoxiques du plomb un peu mieux que ses prédécesseurs, grâce à certains ajustements évolutifs. Pour comprendre quel effet pouvaient avoir des quantités parfois « industrielles » de plomb sur les anciens hominidés et sur les autres primates, les chercheurs ont travaillé sur des organoïdes cérébraux (c’est-à-dire des amas de cellules qui rappellent par leur structure de petites répliques du cortex cérébral) dans lesquels ils ont étudié la version archaïque et la version moderne d’un gène — le NOVA1 — qui aide à organiser le développement du cerveau.

En exposant les organoïdes à des quantités très faibles et réalistes de plomb, les archaiques ont exprimé des mutations dans un autre gène, appelé FOXP2, qui sont liées à des problèmes de communication et de développement du langage.

En revanche, les mini-cerveaux qui exprimaient la forme moderne de NOVA1 semblent protégés de ce type de dommage.

L’idée est que chez l’homme moderne, l’exposition naturelle et continue au plomb ait pu sélectionner certaines variantes génétiques, y compris la version moderne de NOVA1, utiles à protéger le cerveau contre la toxicité du métal. Cela aurait pu contribuer à rendre notre espèce plus communicative et socialement cohésive.

Beaucoup de points restent à éclaircir

L’étude présente certaines limites. Par exemple, le faible nombre d’échantillons et les rares lieux géographiques d’où proviennent les dents fossiles (Chine, Asie du Sud-Est, Australie, Afrique du Sud et France) rendent arbitraire l’hypothèse selon laquelle tous les anciens hominidés auraient été exposés au plomb de manière continue pendant 2 millions d’années.

De plus, il n’est pas possible de démontrer quand cette exposition a eu lieu, ni si elle a réellement commencé au moment le plus critique pour le neuros développement, celui de l’enfance. Il n’est pas non plus clair si exposer des organoïdes cérébraux au plomb reflète ce qui se passe dans le cerveau humain en cas de contamination naturelle. En somme, les conclusions sont audacieuses, compte tenu du type de preuves sur lesquelles elles se fondent, et devront être corroborées par d’autres éléments de preuve.

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