Découvrez quels sont les éléments qui ont le plus pesé sur le bien-être psychologique et physique des enfants et des adolescents, ainsi que les moyens de leur apporter une aide concrète
Plus d’un an après le début de la crise sanitaire, comment évaluer l’impact qu’a eu l’urgence pandémique sur la santé mentale et émotionnelle des enfants et des adolescents ? Quelles ont été les conséquences sur leur psyché ? De nombreuses études et enquêtes journalistiques à travers le monde cherchent à répondre à ces questions, et les données qui en ressortent sont source d’inquiétude. Intéressons-nous en détail à ces éléments.
Ce que disent les études : une augmentation des troubles
La sensation d’une menace invisible mais présente partout est source d’angoisse et de stress pour tous. La situation est encore plus exacerbée dans un contexte caractérisé par une insécurité profonde, sur divers plans, aggravée par une communication médiatique et institutionnelle souvent confuse et contradictoire. Chez les enfants et les adolescents, ces effets peuvent devenir graves, surtout pour ceux qui présentent déjà une certaine vulnérabilité.
Plusieurs recherches menées dans différents pays européens ont mis en évidence une hausse de certains phénomènes et troubles, tels que l’automutilation ou le trouble de stress post-traumatique, liés en partie à l’isolement. On observe également une augmentation du cyberharcèlement et une amplification généralisée des troubles du comportement alimentaire (souvent associés à des troubles de la perception du corps et de l’estime de soi), ainsi que des états anxieux et dépressifs. Des difficultés dans la prise en charge des troubles spécifiques de l’apprentissage ont aussi été rapportées.
Les peurs et phobies ont connu un terreau favorable : parmi elles, l’anxiété liée à une socialisation aussi désirée que perçue comme potentiellement dangereuse. Certains indicateurs indiquent aussi une propagation excessive de la germophobie et de la peur des maladies chez les jeunes générations, qui ont grandi dans l’atmosphère de la pandémie.
L’origine du stress
Pour mieux comprendre l’origine et l’étendue de l’impact émotionnel de cette situation, nous avons recueilli l’avis de Pasquale Musso, professeur de Psychologie du développement à l’Université de Bari, qui s’intéresse depuis longtemps aux problématiques du mal-être chez les enfants et adolescents.
Quelles ont été les principales influences de l’urgence sur le bien-être psychologique et physique des plus jeunes ? « La réponse n’est ni simple ni univoque, et elle demande d’analyser l’intersection entre plusieurs niveaux, allant de l’individu à la société. Cependant, d’un point de vue de la science du développement, il est utile d’en tirer des conclusions en termes de risque et de résilience dans l’évolution. Le risque désigne des conditions susceptibles de représenter une menace importante pour la capacité d’adaptation ou le développement d’une personne (comme le confinement dû à la COVID-19), tandis que la résilience se réfère à la capacité d’adaptation ou de développement positif malgré cette menace. »
Les études sur les enfants et les adolescents indiquent que la résilience dépend de la force des processus d’adaptation universels issus de l’évolution et de la culture humaine. En termes simples, ce qui compte, c’est la « force extraordinaire de l’ordinaire » (expression forgée par la psychologue américaine Ann S. Masten dans un célèbre article [3] publié en 2001 dans l’American Psychologist), qui désigne une aide apportée lors des périodes de sérénité, mais également une protection vitale en situation difficile pour assurer la survie et favoriser la récupération.
L’absence d’ordinarité est précisément ce que la situation, depuis plus d’un an, pèse lourdement sur la vie des enfants et des adolescents, avec des effets variés selon le contexte familial et social. Les éléments qui constituent cette « extraordinaire ordinarité » sont nombreux et tous essentiels pour leur capacité d’adaptation.
Le rôle des liens significatifs
Selon Musso : « Avant tout, il y a le réseau de relations et de liens avec autrui. Notre survie dès la naissance, notre protection durant l’enfance, notre sécurité à l’adolescence dépendent en grande partie de la qualité de ces relations. La famille occupe une place centrale, particulièrement au début de la vie. En grandissant, les enseignants, les pairs, ainsi que les figures religieuses ou spirituelles prennent de plus en plus d’importance. Si ces liens fonctionnent bien — surtout les plus fondamentaux — l’enfant et l’adolescent seront potentiellement protégés face aux adversités. À l’inverse, si ces relations sont fragilisées ou défaillantes, ils deviennent plus vulnérables face aux difficultés. »
La situation actuelle a, évidemment, impacté cette toile de soutien. Poursuit-il : « La pandémie a profondément modifié le système relationnel des jeunes, en limitant considérablement les interactions familiales élargies (incluant souvent les grands-parents) et celles hors du cercle familial (notamment la régularité des rencontres avec les enseignants et les camarades à l’école). Ceux qui disposaient déjà d’un réseau social solide ont vu celui-ci s’atrophier, même s’ils ont probablement conservé une capacité d’adaptation. En revanche, pour ceux provenant de familles dysfonctionnelles, la vulnérabilité s’est accentuée, renforçant leur sentiment d’insécurité et d’isolement. »
En résumé, la crise a affaibli la protection que ces jeunes pouvaient espérer face aux difficultés. Elle a surtout fragilisé ceux qui étaient déjà en situation de vulnérabilité. La montée des troubles psychiatriques et des comportements agressifs en groupe chez les adolescents en est une manifestation criante.
Moins d’expériences indispensables à la croissance
Il existe également d’autres facteurs, moins apparents, qui jouent un rôle crucial. Musso explique : « Le sentiment d’auto-efficacité, c’est-à-dire la perception d’être capable de réussir des tâches, se construit à travers l’expérience. Or, les mesures restrictives liées à la crise ont, malheureusement, limité les activités des enfants et des jeunes : sports, musique, art, voyages… Autant d’expériences qui permettent d’explorer, de maîtriser de nouveaux environnements et d’affirmer leurs compétences. La privation de cette routine essentielle peut réduire leur perception de leurs capacités, aura à terme un impact négatif sur leur capacité d’adaptation. »
Un autre rôle clé revient à l’école, qui dépasse l’enseignement. « Une dimension — toujours selon Musso — concerne l’autorégulation, à la fois cognitive et émotionnelle. La concentration, l’attention, la maîtrise de ses émotions et comportements sont fondamentaux pour réussir et se sentir compétent. Normalement, l’école joue un rôle essentiel dans le développement de ces capacités, en étant un lieu où les enseignants et aussi les pairs accompagnent, motivent, et servent de modèles. »
Malheureusement, la crise a limité cette fonction polaire de l’école. La responsabilité, désormais, repose en grande partie sur la famille et sur l’effort individuel des jeunes. Résultat : ceux qui étaient déjà fragiles manifestent plus souvent et intensément des troubles psychologiques (anxiété, dépression, troubles somatiques et sociaux) mais aussi des comportements inadaptés (agressivité, troubles du comportement). Aujourd’hui, ils se sentent davantage « démunis » face aux imprévus de la vie — comme une maladie ou une rupture familiale —, ont tendance à se percevoir comme moins compétents et actifs, et risquent de développer des difficultés accrues dans le contrôle de leurs fonctions cognitives, émotionnelles et comportementales.
À la recherche d’une « nouvelle ordinarité »
Comment apporter concrètement une aide à nos jeunes ? « Pour soutenir enfants et adolescents dans ce contexte, insiste Musso, il est essentiel de recréer des conditions d’ordinarité, voire de « nouvelle » ordinarité. Par exemple, instaurer des routines stables tout au long de la journée (réveil, repas, activité physique, devoirs, loisirs) ; favoriser des moments où ils peuvent entretenir des liens significatifs en toute sécurité, même virtuellement ; encourager la pratique d’activités qu’ils peuvent continuer dans les circonstances actuelles, comme la peinture, la photographie, la musique numérique, ou encore la création digitale. »
Il faut également leur donner une certaine autonomie dans leur vie mentale et émotionnelle : « En leur laissant un espace physique, même temporaire, et en les soutenant dans leur besoin de maintenir une distance « équilibrée » au sein de la famille. Il s’agit aussi d’être modèles, en étant présents, persistants et flexibles face aux difficultés que cette période exceptionnelle leur impose. »
Faire appel à de l’aide quand c’est nécessaire
Parfois, l’aide extérieure devient indispensable. Musso précise : « Même avec les meilleures intentions, certains enfants ou adolescents peuvent avoir du mal à exprimer leurs fonctions d’adaptation. Une anxiété excessive, des comportements agressifs inexplicables, une obsession pour certains petits défauts physiques — comme le refus de se regarder dans la glace ou d’allumer la webcam —, une apathie prolongée, un retrait social ou une grande timidité… autant de signaux qui peuvent nécessiter l’intervention d’un professionnel. Ce dernier pourra évaluer quels domaines de fonctionnement demanderont un soutien et intervenir après avoir analysé la situation, tout en repérant d’éventuels risques ou leviers pour leur développement futur.»
Dans ces cas, les adultes référents doivent être vigilants, prêts à percevoir ces signaux et à offrir écoute et soutien dans le parcours de reconstruction. Car, malgré la complexité apparente de la situation, il existe toujours des voies pour y faire face. Ces routes deviennent d’autant plus efficaces que les acteurs de l’entourage s’engagent avec attention, collaboration et bienveillance.