L’Union européenne a conclu un accord pour la création d’une immense zone de libre-échange avec les pays du Mercosur en Amérique du Sud. Toutefois, cette initiative suscite encore de fortes oppositions, notamment en France, qui demeure l’un des principaux détracteurs du projet.
Sur les pâturages verdoyants de la Fazenda d’Ellen Marina à Lorena, dans l’arrière-pays de São Paulo, paissent des bovins bruns et blancs, représentant la fameux bétail vert qui fait la fierté des éleveurs brésiliens : « Voici nos célèbres vaches vertes, parce qu’elles se nourrissent à 90 % de pâturage », explique Marina. « Toutes nos bêtes sont soumises à des contrôles très stricts avant de sortir ; c’est ainsi que se produit la viande que le monde entier loue. »
Les enjeux agricoles et l’élevage au cœur de la controverse européenne
Les questions relatives à l’agriculture et à l’élevage restent parmi les sujets les plus sensibles dans le cadre de la négociation de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Bien que le texte final ait été conclu après vingt-cinq années de tractations, il doit désormais être soumis aux parlements des États membres de l’UE ainsi qu’aux parlementaires des nations du Mercosur, avec un résultat incertain. La opposition est forte, notamment en France, où de nombreux critiques dénoncent l’abaissement potentiel des standards environnementaux dans les pays du Mercosur. En outre, les agriculteurs européens craignent une concurrence déloyale venue des pays d’Amérique du Sud, où les coûts salariaux sont bien plus faibles.
La réponse de Lula face au protectionnisme douanier
Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, récemment en visite officielle en France, et qui doit reprendre la présidence du Mercosur le 6 juin, essaie de convaincre : « Si les agriculteurs brésiliens et français comprennent ce que cet accord pourrait leur apporter, ils n’auraient aucune raison de s’y opposer. Je reviens au Brésil avec la certitude que nous signerons cet accord avec Emmanuel Macron, le sourire aux lèvres », affirme Lula. Selon lui, cet accord constitue la meilleure réponse à l’incertitude créée par le retour à un protectionnisme unilatéral et aux barrières douanières. «
De son côté, Marina, la bâtisseuse de bovins, ne comprend pas la prudence exprimée par certains. « Nous sommes les premiers exportateurs mondiaux de viande bovine. Il est incompréhensible que la France s’oppose à cela », affirme-t-elle. « Tout le monde souhaite vendre sans obstacles, sans barrières commerciales. C’est dans l’intérêt mutuel de l’UE et du Mercosur », conclut-elle.
Une alternative face au chaos douanier de Trump
Selon le politologue Paulo Velasco de l’Université fédérale de Rio de Janeiro, le chaos douanier instauré par l’ancien président américain Donald Trump joue involontairement en faveur des partisans du partenariat européen-latin américain : « C’est une période favorable. L’Union européenne comme l’Amérique latine souffrent de l’incertitude générée par la politique commerciale de Trump et de ses mesures protectionnistes. Cela a des effets négatifs pour nous. Créer une zone commerciale commune pourrait être une solution efficace », souligne-t-il.
Il estime également que cette stratégie pourrait donner un coup de pouce aux négociations en cours, en encourageant certains pays comme la Pologne ou les Pays-Bas à privilégier l’accord, même si la France manifeste une certaine réticence.
Risques d’aggraver la crise économique en Argentine
Cependant, de nombreux critiques environnementaux s’alarment : ils arguent que cet accord renforcerait un modèle économique propice aux inégalités et à la destruction de l’environnement. Les bénéficiaires seraient principalement l’industrie agricole d’Amérique du Sud, ainsi que les fabricants européens de voitures et les multinationales pharmaceutiques. Mauro Álvarez, président de l’Union des PME argentines et entrepreneur dans le secteur textile, partage ces préoccupations. Il travaille dans une usine de vêtements de travail à Berazategui, dans la banlieue de Buenos Aires.
L’industrie argentine est déjà fragilisée, ce qui rend encore plus difficile la compétition avec l’Europe, déplore-t-il : « Je ne suis pas opposé aux accords commerciaux, ni avec l’UE, ni avec les États-Unis, ni avec la Chine. Mais nous vivons une période critique. Depuis deux ans, l’économie a nettement ralenti. La politique actuelle ouvre ses marchés à tous les importateurs, les dépenses de consommation ont chuté, le marché intérieur s’est affaibli. Tout cela frappe durement notre industrie », explique-t-il. Rappelant une leçon douloureuse, il précise que le pays a déjà traversé une crise grave qui a détruit des emplois et anéanti l’industrie nationale.
Les négociations avec d’autres partenaires potentiels
Marcelo Scaglione, conseiller en politique extérieure, explique que les accords commerciaux progressent par étapes : « Le dégel tarifaire s’effectuera progressivement », affirme-t-il. Selon lui, il n’y aura pas de résistances majeures lors des votes dans les parlements sud-américains : « Ce marché représente une opportunité significative pour valoriser nos produits. L’Europe a besoin de denrées alimentaires, d’énergie pour réduire sa dépendance au gaz russe, et de minerais pour la transition vers la mobilité électrique », détaille-t-il.
Que faire si l’accord échoue ?
Le traité pourrait toutefois capoter, notamment à cause de la résistance de certains États membres. La signature pourrait alors se faire en dissociant la partie économique de la partie politique, selon le procédé appelé « splitting ». La Commission européenne pourrait soumettre la partie commerciale à un vote à la majorité qualifiée au Conseil et à une majorité simple au Parlement européen. Cela permettrait d’éviter une veto collectif de certains pays, notamment la France ou d’autres États réticents, tout en avançant sur le volet économique.
Une importance stratégique pour l’Union européenne face à la concurrence mondiale
Selon Velasco, ni la Chine ni les États-Unis ne constituent aujourd’hui une alternative crédible au partenariat avec l’UE. La Chine reste un partenaire crucial, notamment pour l’achat de matières premières comme le minerai de fer, le soja ou le pétrole. Toutefois, la concurrence chinoise se concentre davantage sur ce secteur. « L’Europe, en revanche, représente un marché plus sophistiqué, où nous vendons non seulement nos produits agricoles, mais également des biens industriels, des composants électroniques ou encore des équipements aéronautiques. La collaboration avec l’UE nous paraît donc plus stratégique », analyse-t-il.
Il est aussi envisageable que l’accord commercial puisse être scindé en deux parties, ce qui permettrait de contourner l’opposition de la France, notamment par la procédure de « splitting ». La Commission européenne pourrait alors faire adopter la partie économique par une majorité qualifiée au Conseil et une majorité simple au Parlement, évitant ainsi un veto collectif des États membres les plus sceptiques.