Lorsqu’une mère et un père décident de se séparer, leurs enfants traversent souvent des périodes de stress oscillant en durée et en intensité, en proie à la colère, à la tristesse pour la perte de l’unité familiale, mais aussi à de l’inquiétude et à une surcharge d’émotions. Comment accompagner au mieux les enfants dans cette étape de transformation de la vie familiale ? C’est une question essentielle que nous allons aborder ici.
Comment se sentent les enfants lorsque leurs parents se séparent ?
Comment gérer la séparation d’un enfant ou d’une adolescente ? La première étape consiste à comprendre quels sont les sentiments et les émotions que vivent les plus jeunes durant cette période. Chaque enfant ou chaque adolescente expérimente séparément cette étape, et ses ressentis peuvent évoluer dans le temps en fonction de plusieurs facteurs :
- de la phase précise de la séparation ;
- de l’âge de l’enfant ;
- de la relation avec chacun des parents ;
- des modalités avec lesquelles les conflits et les changements liés à la séparation sont abordés.
En général, la séparation est précédée d’une période plus ou moins longue durant laquelle la crise du couple demeure souvent implicite mais se ressent au quotidien : disputes, tensions, silences, attitudes différentes des adultes à leur encontre, visages qui apparaissent plus souvent tristes ou en colère, déçus ou anxieux.
Durant cette étape, les plus jeunes ne parviennent pas toujours à se représenter, à donner du sens ou à comprendre ce qui leur arrive. Les plus âgés, eux, peuvent se poser des questions qu’ils préfèrent souvent garder pour eux. Tous les enfants, quel que soit leur âge, peuvent vivre des sentiments d’incertitude, de confusion ou d’angoisse. Il est crucial de parvenir à gérer ces émotions pour leur bien-être.
Exprimer en mots ce qui se passe n’est pas toujours évident, surtout lorsque la décision de se séparer n’est pas définitive ou lorsque les parents eux-mêmes sont désorientés, ne sachant pas comment faire face. Prendre un moment pour expliquer aux enfants que même «les adultes peuvent se disputer comme les enfants, mais qu’il est parfois plus difficile pour eux de se réconcilier» peut devenir une démarche simple mais importante. Cela permet aux enfants de comprendre ce qui se passe, de se sentir moins angoissés, et de s’approcher progressivement de la réalité de la séparation, sans se sentir impliqués de façon inappropriée dans des aspects qui ne les concernent pas directement.
Lorsqu’il faut annoncer la séparation aux enfants
Une étape cruciale dans le processus de séparation est le moment où les parents, après avoir décidé de se séparer, en informent leur(s) enfant(s).
Ce moment d’annonce peut susciter des réactions diverses, souvent mêlées. Par exemple, les enfants peuvent ressentir de la tristesse face à :
- la disparition du lien de couple entre leurs parents («C’est triste de savoir que maman et papa ne s’aiment plus comme avant»);
- la perte de l’unité familiale («Nous ne vivrons plus tous ensemble dans la même maison», «Nous ne passerons plus Noël tous ensemble chez les grands-parents», «Nous n’irai plus en vacances tous ensemble»);
- la réduction du temps passé avec le parent qui n’habite plus chez eux de façon régulière («Je ne pourrai plus dormir chaque soir avec papa», «Je ne pourrai plus prendre le petit déjeuner chaque matin avec maman»).
Les enfants peuvent également ressentir de la colère face à cette situation. Il arrive qu’ils dirigent leur frustration contre l’un des deux parents, en lui manifestant leur colère ou en refusant tout contact avec lui. Souvent, ces comportements sont la manière la plus simple pour exprimer une émotion complexe, difficile à nommer ou à exprimer autrement, surtout pour les plus jeunes.
Il est essentiel que les parents accueillent cette colère et leur permettent de l’exprimer dans un cadre sécurisé. Par exemple, en expliquant lors du dialogue avec leurs enfants que ressentir de la colère face à la situation est normal, et qu’ensemble il est possible de trouver différentes façons d’exprimer cette émotion, sans la diriger vers l’un ou l’autre parent. De cette façon, il sera plus aisé pour les enfants de superposer, de dépasser leur colère, et cela réduit le risque qu’ils restent émotionnellement bloqués durant cette étape de la séparation.
À partir de l’âge de cinq ans, les enfants peuvent commencer à ressentir de la culpabilité face au choix de séparation effectué par leurs parents. Ils peuvent observer des disputes entre eux, par exemple, sur qui doit les conduire à leurs activités, et en déduire que la séparation serait leur faute, se croyant responsables de la rupture entre leur mère et leur père.
On peut facilement imaginer que cette culpabilité pèse lourdement pour eux, au point qu’ils se perçoivent comme « des mauvais enfants », responsables d’avoir causé le départ de l’un ou l’autre parent. Cela provient du quois enfantin, cette tendance des jeunes à voir le monde uniquement de leur point de vue, ainsi que de leur difficulté à comprendre que les parents ne se disputent pas à cause des enfants, mais à cause de désaccords sur des questions qui les concernent eux-mêmes.
Enfin, nombreux sont les enfants qui peuvent se sentir effrayés face aux changements qu’entraîne la séparation, notamment ceux de moins de trois ans, qui risquent l’angoisse lorsqu’ils ne voient pas un parent lorsqu’ils sont chez l’autre. Ces tout-petits n’ont pas encore développé un sentiment intérieur stable de constance de la figure parentale, ce qui rend cette séparation encore plus difficile à vivre pour eux.
Les enfants un peu plus grands peuvent craindre de ne plus pouvoir voir leur parent qui a quitté la maison, car ils savent qu’il devra déménager ou qu’il ne sait pas encore comment organiser leur temps pour continuer à le voir. Lorsque la séparation entraîne aussi un changement de domicile, cette anxiété peut s’intensifier avec la perte de leurs repères habituels : la chambre, les jeux, l’environnement familial, l’école, les amis. Dans cette période de bouleversement, si la maison, l’école et le groupe de pairs ne sont plus les mêmes, les peurs et l’angoisse deviennent très envahissantes.
Pour toutes ces raisons, la séparation constitue une étape difficile à accepter. Certains enfants continuent à faire semblant que tout va comme avant, à espérer qu’un jour la vie reprendra son cours normal, comme si la communication de la séparation ne s’était jamais produite ou comme si la nouvelle organisation familiale ne les concernait pas.
Dans d’autres cas, ils maintiennent le souhait que maman et papa se réconcilient et qu’ils retrouvent tous le même toit, même longtemps après la séparation, et malgré l’arrivée de nouveaux partenaires. Ce désir peut perdurer jusqu’à la préadolescence, et s’appuie à la fois sur leur ego et sur leur pensée magique, une façon de penser propre à l’enfance selon laquelle ils croient que ce qu’ils désirent très fort dans leur esprit peut devenir réalité.
Il est donc essentiel de préserver la sérénité des enfants face à cette étape. Comment les aider à gérer ces émotions si complexes ? Nous y reviendrons plus loin dans cet article.
Ce qui fait souffrir les enfants de parents séparés
Gérer la séparation avec ses enfants n’est pas une tâche aisée. Lorsqu’un conflit entre la mère et le père est fréquent et intense, les enfants subissent cette situation, peu importe leur âge.
Les recherches et études internationales récentes ont montré que la souffrance à long terme des enfants de parents séparés ne dépend pas tant de la séparation elle-même que de l’intensité, de la durée des conflits, de la manière dont ils sont gérés, ainsi que de la qualité des relations familiales. En d’autres termes, ce qui fait le plus mal aux enfants, c’est un conflit qui devient toxique et qui implique de manière inappropriée leur vécu, en particulier lorsqu’ils sont manipulés ou utilisés comme messagers entre les parents.
Les douleurs les plus importantes surviennent lorsque le conflit est si intense qu’il aboutit à des attaques directes ou indirectes contre l’un des deux parents en présence des enfants. Par exemple, en leur lançant des phrases ou en ayant des comportements qui dénigrent l’autre parent ou qui le colportent comme étant la cause de tous les problèmes, ou encore par des messages voilés qui soulignent la blessure qu’aurait infligée l’autre à la famille, aux enfants ou qui dénoncent sa faible disponibilité ou incapacité à s’en occuper.
Se retrouver coincé au cœur de la dispute entre maman et papa est extrêmement destructeur pour l’équilibre psychologique des enfants. Ceux-ci aiment leurs deux parents et ont tissé un lien fort avec chacun d’eux. Se retrouver au milieu de leurs disputes ou des querelles permanentes, c’est pour eux une situation de conflit de loyauté : ils se sentent coupables de prendre parti ou de préférer l’un ou l’autre, et ce sentiment d’obligation de choisir peut les entraîner à se sentir coupables quelle que soit leur réponse, empêchant toute possibilité d’être en lien authentique avec leurs deux parents.
Les enfants peuvent aussi assumer des rôles bien au-delà de leur âge ou de leur place dans la famille. Certains deviennent médiateurs ou « pacificateurs », à leurs risques et périls, tentant d’apaiser leurs parents, mais souvent en recueillant de la culpabilité ou de la désillusion lorsque leurs efforts restent vains ou qu’ils créent de nouvelles tensions. D’autres, lorsque leur parent est en grande difficulté à cause de la séparation, se retrouvent à jouer un rôle de confident, de consolateur ou d’aide pour l’un ou l’autre, en portant un fardeau émotionnel et des responsabilités qui dépassent souvent leur capacité.
Comment éviter que la séparation ne fasse trop souffrir les enfants ?
Revenons à cette question : comment les parents peuvent-ils accompagner leurs enfants de manière à ce qu’ils ne souffrent pas davantage de cette étape difficile ?
Le premier pas consiste en un geste envers soi-même : s’arrêter au cœur de la tourmente, chercher un refuge à l’écart des tensions, créer un espace intérieur d’écoute où la détresse de chacun, y compris celle des enfants, puisse être accueillie. Cela peut passer par parler à un ami, prendre un temps de réflexion personnelle, lire un article spécialisé ou consulter un professionnel. Ce moment de pause permet de mieux comprendre ce que vivent les enfants et de s’y connecter pour leur offrir un meilleur soutien.
Ce « temps de recul » est essentiel pour que chaque parent puisse ensuite engager un second pas : celui du dialogue avec l’autre parent, en parlant ouvertement des expériences et des besoins des enfants.
Ce dialogue doit inclure un accord sur la façon dont la séparation sera expliquée aux enfants, en tenant compte de leur personnalité et de leur sensibilité. Lorsqu’il est possible, il est conseillé que les deux parents abordent la conversation ensemble, dans un lieu calme et neutre de la maison – en évitant par exemple la chambre des enfants, afin de préserver ce lieu de tout souvenir douloureux ou de conflit – en étant attentifs aux nécessités fondamentales du vécu familial :
- éviter si possible de réagir aux disputes ou à la colère de l’un ou l’autre durant cette discussion ;
- ne pas demander aux enfants de choisir entre l’un ou l’autre, ni de servir de messagers ou de médiateurs — éviter de leur faire porter le rôle de « témoins » des conflits ;
- ne pas leur faire porter les problèmes des adultes, afin qu’ils restent « enfants » ;
- leur garantir qu’ils ne sont pas responsables de la séparation (« Ce n’est pas votre faute ») ;
- les rassurer en leur affirmant que le lien avec chacun des parents restera intact, et qu’ils continueront d’être pour eux une source d’amour et de sécurité (« Nous nous séparons, mais nous resterons toujours vos parents ») ;
- les informer des changements à venir (vivre chez deux, alterner entre deux maisons, partir en vacances séparément…) tout en veillant à maintenir, si possible, la continuité dans leurs autres activités : école, amis, groupes sportifs, famille élargie ;
- leur permettre de s’exprimer et d’être écoutés, même après la première annonce ;
- respecter leur rythme d’adaptation face à cette nouvelle organisation familiale.
Lorsqu’un parent a en tête ces préoccupations, il pourra plus aisément trouver les mots justes pour exprimer ce qui est difficile, voire douloureux, tout en accompagnant ses enfants dans cette étape compliquée. En agissant ainsi, il favorise la connexion affective avec l’autre parent, ce qui constitue un soutien essentiel pour traverser cette période de profond bouleversement familial.