Les fourmis ont développé une longue série de méthodes pour prévenir ou combattre les maladies contagieuses, un problème colossal pour un animal qui vit en colonie avec des milliers d’individus en contact étroit. Nous savons par exemple qu’elles isolent leurs compagnes malades en les mettant en quarantaine, et, si nécessaire, elles s’isolent elles-mêmes en sachant être infectées.
Aujourd’hui, une étude publiée en version préprint sur bioRxiv démontre que les protocoles sanitaires des fourmis s’appliquent aussi à leurs choix architecturaux : une colonie infectée construit son nid de fourmis différemment de celle qui est saine.
Architectes sains, architectes malades. L’expérience a mis en scène les fourmis de l’espèce Lasius niger, les « classiques » fourmis noires que l’on croise dans les jardins européens, y compris en France. Nous savons que cette espèce (et d’autres) ont la capacité d’adapter l’architecture de leur nid en fonction des exigences externes : par exemple en fonction de la température, ou de la composition du sol. L’équipe de l’université de Bristol a donc voulu étudier comment évolue un formicaire si il est construit par une colonie infectée.
L’expérience. Le premier passage de l’expérience a consisté à prendre deux groupes de 180 ouvrières, introduites dans un récipient rempli de terre et laissées libres de commencer à construire la fourmilière pendant 24 heures. Ensuite, 20 ouvrières supplémentaires ont été ajoutées aux deux groupes : dans l’un des deux cas, les nouvelles arrivées avaient été exposées à des spores fongiques et portaient les signes de l’infection. À ce moment-là, les fourmis ont été laissées libres de construire la fourmilière pendant six jours supplémentaires.
Protocole sanitaire. Parallèlement, l’équipe surveillait la construction du nid et la documentait à l’aide de scans tridimensionnels de la structure. De cette façon, les chercheurs ont découvert que le nid construit par les fourmis infectées avait une forme différente de celui construit par celles qui étaient saines : les entrées étaient plus séparées les unes des autres, et les connexions internes entre les différentes chambres du nid étaient beaucoup moins nombreuses. En d’autres termes, l’ensemble de la structure a été conçue pour minimiser le contact entre les individus, afin de ralentir la propagation de l’infection.
Auto-isolement. Les fourmis ont également appliqué tous les autres protocoles sanitaires déjà connus, en particulier l’auto-isolement : cette pratique s’est révélée extrêmement efficace pour empêcher que l’infection ne se propage rapidement. C’est la première fois que nous observons un animal non humain qui modifie l’architecture de son nid pour des raisons de santé : l’espoir est (aussi) que l’on puisse copier certaines de leurs solutions pour repenser aussi les espaces sociaux humains.