Les parents et les éducateurs d’enfants « à haut potentiel » se posent souvent la même question : comment pouvons-nous les accompagner au mieux pour qu’ils puissent exprimer pleinement leur talent ?
Anna a tout juste 4 ans, mais ses parents ont vite compris qu’elle savait déjà lire, simplement en observant sa grande sœur qui est en école primaire. Lire lui procure beaucoup de plaisir, car les histoires qu’elle découvre dans ses livres la fascinent et éveillent son intérêt. Sa curiosité est aussi alimentée par l’observation de son environnement naturel, des plantes, des animaux, ce qui la pousse à poser de nombreuses questions et fait souvent l’émerveillement des adultes avec ses réflexions inattendues.
Michele, quant à lui, a 10 ans, et il s’est récemment lancé dans l’apprentissage du piano. La musique a toujours été son jeu préféré, et son professeur remarque que ses progrès sont vraiment remarquables par rapport à la moyenne de sa classe. Sa passion pour l’instrument lui permet de voir les exercices sous un angle plus léger, presque ludique, ce qui explique ses réussites.
Ces deux enfants, Anna et Michele, peuvent-ils être considérés comme « enfants géniaux » ? Comment ont-ils réussi à développer si facilement ces compétences ?
Enfants « doués »
Les enfants comme Anna et Michele, qui manifestent des capacités remarquables mais très différentes, sont souvent désignés par divers termes, avec un certain soupçon d’admiration, pour souligner des compétences hors du commun, souvent qualifiés d’ « à haut potentiel ». Ils sont aussi appelés « enfants « gifted » » ou « surdoués », ou encore enfants « prodiges », « talentueux », « très intelligents », « précoces », « exceptionnels », « brillants », « créatifs »… Ces expressions, souvent générales et peu précisées, touchent parfois uniquement certains aspects, mais ont pour but de mettre en avant des aptitudes spécifiques qui représentent un réel défi pour les parents et les enseignants. Ceux-ci se questionnent sur la meilleure façon de soutenir ces jeunes dans leur croissance, en assurant leur bien-être psychologique et la réalisation de leur potentiel. En France, la prise en compte des besoins éducatifs des enfants et adolescents à haut potentiel est encore insuffisante, et le parcours pour les accompagner reste encore à ses débuts, comme le signalent depuis longtemps des chercheurs spécialisés dans ce domaine.
Pour mieux comprendre cette problématique, nous avons fait appel à un expert mondialement reconnu : le professeur Cesare Cornoldi, émérite en psychologie à l’Université de Padoue, spécialisé depuis de longues années dans ces questions.
Définir les « capacités exceptionnelles »
Il est essentiel de commencer par clarifier la terminologie souvent vague ou peu précise utilisée pour parler de ces enfants. Selon Cornoldi : « Par exemple, le terme « surdoué » est une expression générique qui traduit l’anglais gifted ; il désigne une personne dotée de compétences hors du commun dans un ou plusieurs domaines. En principe, tous les aspects qui concernent l’être humain pourraient être considérés comme potentiellement liés à la surdouance : capacités intellectuelles, artistiques, motrices, etc. Or, en dehors de quelques usages marginaux, on parle généralement de surdouance pour désigner l’intelligence, le talent et la créativité. Comme je l’ai montré dans mes travaux, ces trois dimensions sont différentes mais partagent certains éléments en commun. »
Reconnaître les enfants surdoués : comment faire ?
Voici quelques indications pour identifier et distinguer les caractéristiques des enfants à haut potentiel.
Une personne qui manifeste des aptitudes particulières dans certains domaines, mais sans que cela concerne de manière générale tous les aspects de sa cognition, peut être qualifiée de « talentueuse ». Si un enfant montre une capacité exceptionnelle dans, par exemple, la mécanique, la perception visuo-spatiale ou le calcul, il peut être considéré comme talentueux, sauf si d’autres domaines manifestent une faiblesse ou une absence de talent. En revanche, une personne qui se distingue par une grande capacité à associer des éléments de façon novatrice et en dehors des raisonnements classiques, en utilisant ce qu’on appelle la « pensée divergente », est souvent qualifiée de « créative ». D’autres enfants présentent un profil cognitif très élevé dans l’ensemble, ce qui correspond typiquement à ce qu’on désigne comme la « surdouance » ou « haut potentiel général ». Comme l’histoire l’enseigne, dans des cas exceptionnels, ces capacités peuvent converge vers ce qu’on considère comme la « genialité ».
Certains enfants et adolescents, pour éviter de révéler leur surintelligence et d’être mal perçus par leurs pairs, surtout en milieu scolaire, préfèrent ne pas se mettre en avant. Ces enfants, que certains chercheurs appellent des « surdoués « souterrains » » (underground), peuvent présenter une certaine fragilité, une anxiété, et une prise de conscience incomplète de leurs dons.
Test et outils d’évaluation du haut potentiel
L’un des signes caractéristiques des enfants à fort potentiel intellectuel est leur capacité à présenter des réalisations en avance sur leur âge, ce qui est souvent détecté par les tests standardisés. Cornoldi souligne : « La précocité n’est pas une nécessité absolue, mais elle est typique de la surdouance et permet souvent de la repérer rapidement. »
Pour mesurer cette précocité, les spécialistes utilisent généralement des questionnaires envoyés aux parents. Ces questionnaires ne constituent qu’un point de départ pour une évaluation plus approfondie, qui inclut souvent un test de QI, mais ce dernier ne peut à lui seul donner une image complète. Cornoldi précise : « Les tests d’intelligence les plus fiables sont très précis, ils fournissent des indications utiles et importantes. Le souci, c’est de comprendre précisément leur contenu et de ne pas tomber dans deux extrêmes : d’un côté, nier leur validité, ou de l’autre, se fier uniquement à un score numérique pour juger une personne. Le quotient intellectuel, par exemple, n’est qu’un indicateur approximatif d’un profil beaucoup plus complexe. Il ne différencie pas l’intelligence générale du talent, ni les différentes formes d’intelligence. Seul un expert peut aider une famille à comprendre ce que recouvre une évaluation sophistiquée, et à détecter ses limites éventuelles. »
Chaque personne est unique
Ce qui est fondamental à rappeler aux parents et aux éducateurs, c’est qu’il n’existe pas une seule façon d’accompagner et de valoriser chaque talent ou potentiel. Cornoldi insiste : « Il peut sembler déroutant, voire irritant, de nous faire entendre qu’il n’y a pas de règles universelles et que chaque situation doit être adaptée. Mais c’est la vérité : chaque enfant est différent, non seulement dans ses caractéristiques de surdouance, mais aussi dans ses traits associés. »
Par exemple, même si souvent la surdouance s’accompagne de fragilités émotionnelles ou relationnelles — un phénomène que certains études confirment — il ne faut pas généraliser. Cornoldi ajoute : « On dit souvent – et cela devient une sorte de stéréotype — que les enfants surdoués sont très fragiles, comme des objets de cristal susceptibles de se briser. Mais c’est une exagération. Par exemple, une étude très large a montré que, en moyenne, ils se portent émotionnellement et socialement mieux que les autres enfants. Cela n’exclut pas que certains aient des difficultés particulières, comme dans le cas de ce qu’on appelle la « double exceptionnalité » : ils présentent à la fois une surdouance et un trouble spécifique de l’apprentissage ou du développement neurologique. Lors d’un récent colloque interuniversitaire, de nouvelles lignes directrices ont été évoquées pour mieux accompagner ces enfants et ces jeunes. »
Les « jardiniers » plutôt que les « bâtisseurs »
Il est important de souligner que tous les parcours ne conviennent pas à chaque enfant. Une recommandation essentielle est d’adopter une approche « jardinière » dans l’accompagnement. Cornoldi explique : « La règle fondamentale — c’est de prendre soin du talent comme un jardinier, sans forcer ou imposer des développements prématurés comme le ferait un « constructeur ». Il faut favoriser son développement dans un cadre qui respecte son rythme naturel, en supprimant éventuellement certains obstacles. »
Cette métaphore, inspirée par Alison Gopnik, oppose deux styles éducatifs différents. Le premier consiste à créer des conditions favorables pour que les potentiels puissent s’épanouir de façon autonome, en évitant d’intervenir trop précocement. Le second privilégie une intervention active, par des cours spécialisés ou des activités artistiques ou techniques, sans attendre que l’enfant en fasse la demande.
Enfants surdoués et défis à relever
Un « parent bâtisseur » tend à voir son enfant comme un jeune adulte en miniature, cherchant à lui faire exploiter ses dons de façon spectaculaire. Bien qu’il manque encore des données solides sur les effets concrets de ces approches éducatives, la majorité des spécialistes pensent que ce mode de pensée peut parfois faire peser une pression trop forte sur l’enfant, nuisant à son épanouissement et à son bien-être psychologique à long terme. La philosophie du « jardinier » offre, elle, un cadre plus souple, permettant de respecter les capacités naturelles de chaque enfant sans les enfermer dans des règles ou des attentes qui pourraient devenir contre-productives.
Parmi les conseils que donnent les experts aux parents d’enfants à haut potentiel, on trouve notamment l’importance d’éviter la comparaison avec les autres jeunes, de maintenir un dialogue ouvert, d’éviter les attentes démesurées et de préserver la curiosité naturelle de l’enfant. Enfin, il ne faut pas céder à la peur de ne pas être « à la hauteur » face à l’intelligence et aux capacités de son enfant : la première chose dont un enfant a besoin, c’est de savoir qu’il peut compter sur l’amour et le soutien inconditionnel de ses parents.