Le rôle crucial des parents dans la prise en charge des jeunes atteints de troubles alimentaires

Les troubles du comportement alimentaire : un enjeu psychologique et émotionnel majeur

Parmi la multitude de situations cliniques répertoriées dans les manuels de psychiatrie, celle des Troubles du Comportement Alimentaire (TCA) ou plus simplement des Troubles Alimentaires (TA) se distingue par l’impact émotionnel qu’elle suscite chez la majorité des personnes concernées. Ce phénomène ne laisse personne indifférent, tant il touche à l’intimité du corps et à la sphère psychique, avec des conséquences souvent dramatiques.

Il est aisé de comprendre cette forte charge émotionnelle en soulignant d’abord que, contrairement à d’autres troubles psychiatriques, les troubles du comportement alimentaire exercent une influence directe et radicale sur le corps physique. En un laps de temps relativement court, ces troubles peuvent même mettre en danger la vie même de la personne, en provoquant des carences sévères, des défaillances organiques ou des dénutritions fatales. Si l’on ajoute à cela le fait que, de plus en plus souvent, leur apparition se manifeste dès la période de l’adolescence — et non plus à l’âge adulte — l’impact émotionnel devient d’autant plus dévastateur.

L’image qui revient souvent dans notre esprit est celle d’un jeune (une jeune) qui commence à instaurer des règles alimentaires strictes, ou dont les comportements alimentaires deviennent dysfonctionnels, jusqu’à cesser totalement de se nourrir durant de longues périodes. Une scène qui nous relie à un éventail immense d’émotions : inquiétude, peur, colère, tristesse, impuissance, mais aussi frustration et désespoir.

Cette introduction vise à nous faire toucher du doigt la complexité de la situation. Elle nous permet de mieux comprendre ce qui peut traverser l’esprit d’un parent voyant son enfant développer ces symptômes, jusqu’à l’obtention d’un diagnostic de trouble alimentaire. En effet, il ne s’agit pas seulement d’une problématique physique ou comportementale, mais d’un cheminement psychique profondément bouleversant pour toute la famille.

Le traitement des troubles alimentaires et le rôle crucial des familles

Au fil des années, les chercheurs ont beaucoup exploré le rôle de la famille dans la genèse et la prise en charge des troubles psychiques, notamment pour comprendre comment mieux impliquer les proches dans le processus de soin. La famille apparaît comme un acteur clef, tant dans l’analyse de la situation que dans la mise en œuvre des stratégies thérapeutiques, en particulier pour les adolescents confrontés à un trouble alimentaire.

De véritables programmes de formation parentale, appelés souvent “Parent Training”, ont été conçus pour accompagner et soutenir les parents d’enfants ou d’adolescents souffrant de troubles psychiatriques. Leur objectif est de leur transmettre des outils, des compétences et des stratégies afin de mieux soutenir leur enfant tout en préservant leur propre santé mentale. Ces programmes visent également à renforcer la chaîne de soutien autour du jeune, en lui offrant un environnement familial plus stable et compréhensif, indispensable à la réussite du traitement.

Cependant, malgré l’évidence de leur importance, l’implication de la famille reste parfois sous-estimée, voire négligée, dans certains milieux de soins. Elle est souvent considérée comme secondaire ou laissée de côté dans le dispositif thérapeutique. Or, cette omission peut réduire considérablement l’efficacité du traitement et entraver la reconstruction psychologique du jeune.

Par ailleurs, certains modèles éprouvés, comme l’approche de Maudsley, qui représente aujourd’hui la référence en matière de traitement des adolescents ayant un trouble alimentaire, insistent sur la thérapie familiale. Cependant, ces méthodes mettent rarement l’accent sur la santé mentale des parents eux-mêmes. Ces derniers restent perçus comme des accompagnateurs ou des soutiens, indispensables mais en dehors de leur propre processus de soins. Leur rôle de “patiens” à part entière est souvent minimisé, ce qui limite la compréhension globale de leur propre vécu émotionnel.

Mais que se passe-t-il dans la tête d’un parent lorsqu’il voit son enfant arrêter de manger ? La recherche et la pratique clinique convergent pour souligner que, pour que les familles puissent devenir de véritables co-thérapeutes, il est nécessaire de prendre soin d’eux, d’écouter leur souffrance et de les accompagner dans leur propre processus de gestion émotionnelle.

Il en résulte que, pour soutenir efficacement un adolescent en difficulté, il faut aussi soulager le poids que représente cette crise pour la famille, en améliorant la communication, en réduisant leur sentiment d’isolement et en leur apportant un soutien adapté. Ces éléments sont désormais largement reconnus comme essentiels dans une approche thérapeutique globale et intégrative.

Dans la tête des parents : éléments clé et stratégies

Voyons ensemble quels sont les éléments essentiels à prendre en compte pour mieux gérer la relation avec un enfant souffrant de troubles alimentaires, en adoptant une approche plus consciente et plus efficace.

Comprendre son enfant et faire la différence entre ses comportements liés à la maladie ou à sa personnalité

Il est fondamental de parvenir à distinguer ce qui relève de la maladie de ce qui constitue le mode habituel de fonctionnement propre à chaque adolescent. En effet, un jeune en pleine adolescence a souvent besoin de se rebeller, de se comparer aux autres, d’affirmer son identité. Ces comportements sont normaux et font partie de son développement. La maladie, en revanche, n’est pas une caractéristique inhérente à son être, mais un “passager” qui occupe momentanément son espace psychique. Apprendre à repérer ces différences est crucial pour maintenir une relation saine et éviter de sombrer dans une incompréhension totale.

Cela permet également de rester en contact avec le jeune, de le reconnaître même lorsque ses réactions sont difficiles à supporter, en conservant la conviction qu’il est toujours là, face à nous, même dans la tourmente. Cette capacité de distinction ouvre aussi la voie à des stratégies plus ciblées : lorsque le comportement de l’adolescent résulte clairement de la maladie, il devient possible d’adapter ses interventions pour mieux agir.

Se connaître soi-même : écouter ses émotions et ses réactions

Parallèlement, il est tout aussi indispensable d’apprendre à reconnaître ce qui se passe en soi lorsque l’on est face au comportement de son enfant. Un parent doit devenir un explorateur de ses propres ressentis, comprendre ce qui déclenche sa colère, sa peur ou son désespoir. Prendre conscience de ses réactions permet de mieux les gérer, d’éviter de réagir de façon automatique ou impulsive et surtout de diriger ses propres ressources de manière plus adaptée.

Dans une optique cognitive-comportementale (THC), tout comportement a une origine dans nos pensées et nos émotions. Par exemple, si une fille refuse de manger, le parent peut penser “Elle est en danger”, ce qui engendre la peur et pousse à tout faire pour la faire manger. Ou encore, il peut penser “Je n’arrive pas à l’aider”, ce qui génère sentiment d’impuissance et douleur paralysante. Ou enfin, il peut se dire “Comment est-ce possible ? Pourquoi fait-elle cela ? Que se passe-t-il dans sa tête ?” Et se retrouver envahi par la colère, au point de crier ou de forcer la jeune à se ressaisir. La difficulté réside alors à ne pas céder à cette réaction automatique, à apprendre à prendre du recul pour analyser ses propres pensées et émotions.

Il faut aussi reconnaître que ces processus internes se déroulent souvent de façon inconsciente, que l’on réagit parfois sans en avoir pleinement conscience, et que notre ressenti est souvent confus, noyé dans un “chao” intérieur. Savoir observer et monitorer ses propres réactions devient une étape essentielle pour mieux gérer la relation, surtout dans des situations aussi sensibles où nos réactions peuvent facilement empirer la situation ou nous donner le sentiment d’avoir échoué.

Lire la relation comme un cycle : comprendre la dynamique entre parents et enfants

Une autre notion importante est celle de la relation elle-même, perçue comme un cycle continu d’échanges. La relation n’est pas une ligne droite, mais un flux d’interactions dans lequel chaque réaction influence la suivante. La conscience de ce processus permet d’interpréter plus finement les dynamiques à l’œuvre.

  • C’est quoi qui m’a activé, ici ? (qu’est-ce qui a déclenché ma réaction ?)
  • Quelle pensée se cache derrière ?
  • Qu’est-ce que je ressens aujourd’hui ?
  • Quels comportements ai-je adoptés ?
  • Pour quelles raisons ?
  • Comment cela impacte-t-il mon enfant ?
  • Et comment il se sent à son tour ?

Ces questions invitent à donner un sens renouvelé à ces échanges, à s’interroger sur la logique et les motivations qui sous-tendent cette interaction. L’objectif est d’identifier plus clairement les leviers émotionnels, cognitifs ou relationnels qui influencent le comportement du parent, afin de faire évoluer la dynamique vers plus de compréhension et d’empathie.

Interpréter les interactions à partir de nos objectifs : une clé pour agir avec cohérence

Tous nos comportements sont guidés par une motivation, souvent inconsciente, qui sert de moteur. Si l’on considère cette “force intérieure” comme un drive, il devient alors évident que chaque action que nous posons dans la relation a une finalité. Selon la façon dont nous percevons notre rôle et nos objectifs, nos actions seront différentes.

Par exemple, face à un trouble aussi insidieux que l’anorexie ou la boulimie, un parent peut avoir pour objectif :

  • de continuer à protéger, en cédant à ses comportements à risque, ce qui risque de renforcer la maladie,
  • d’essayer de préserver sa propre santé psychologique en s’éloignant, pour mieux se ressourcer,
  • ou bien, se sentir menacé dans son rôle de parent et agir pour le défendre ou le réaffirmer, ce qui peut au contraire aggraver la situation.

Comprendre cette motivation profonde permet d’interpréter les comportements avec plus de nuance. Savoir d’où l’on vient, quels sont nos buts véritables, évite de tomber dans des interprétations erronées qui pourraient freiner la progression vers la guérison.

Favoriser la coopération : un partenariat pour accompagner l’enfant

Une des démarches clés est celle de favoriser un système motivationnel basé sur la coopération. Lorsque le parent devient un allié, un soutien actif à la thérapie, sa motivation n’est plus centrée sur le combat contre la maladie, mais sur une dynamique de partenariat. Il s’agit de s’engager dans une relation où l’on cherche à comprendre, à écouter, à partager ses observations et ses ressentis.

Impliquer l’enfant dans cette démarche, lui faire sentir qu’il fait partie d’une équipe où ses opinions comptent, contribue à renforcer sa motivation à coopérer. Le parent, en dialoguant, en évitant la confrontation et en proposant une communication ouverte, favorise ainsi la confiance et la réceptivité du jeune à ses soins.

Ce type d’approche est souvent promu dans des programmes spécialisés tels que les Parent Training, adaptés à la famille, à l’âge du jeune et à la problématique spécifique. La littérature scientifique s’accorde à reconnaître que cette alliance, basée sur la compréhension mutuelle, est une pièce maîtresse du processus de guérison.

Bibliographie

  • Gatti, A., & Marchi, L. (2024). Parent training pour adolescents avec troubles de l’alimentation. Matériel pour le clinicien et fiches pour les parents. Erickson.
  • Rienecke, M., et al. (2015). “L’impact des troubles du comportement alimentaire chez l’adolescent sur les parents : revue de la littérature”. Revue des troubles de l’alimentation, 23(3), 217-229.
  • Treasure, J. (2021). Le nouveau programme Maudsley. Prendre soin d’un proche souffrant d’un trouble de l’alimentation. Hogrefe.
  • Gowers, S. G., et al. (2007). “Le rôle des parents dans le traitement des troubles de l’alimentation chez l’adolescent : revue critique”. Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 12(2), 227-241.
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