Une étude menée dans les forêts africaines a révélé que les bonobos, nos « cousins » primates, sont capables de combiner leurs vocalisations de manière similaire à ce que fait le langage humain.
Une découverte surprenante sur nos proches primates
Les bonobos, eux aussi proches parants de l’être humain avec les chimpanzés, partagent beaucoup de traits avec nous. Mais une nouvelle recherche a permis d’aller encore plus loin dans la compréhension de leur communication. En effet, il a été mis en évidence que ces primates peuvent élaborer des combinaisons complexes de vocalisations, en quelque sorte comme nous assemblons des mots pour former des phrases. C’est ce qu’a révélé une étude dirigée par Mélissa Berthet, chercheuse à l’Université de Zurich en Suisse. Nous vous proposons un approfondissement de cette recherche dans cette chronique. La capacité en question s’appelle la compositionalité : l’aptitude à combiner différents éléments pour créer des unités de sens dont la compréhension découle du sens des parties.
Mélissa Berthet a enregistré les vocalisations des bonobos, dont vous pouvez écouter les exemples ci-dessus, puis en a analysé la structure. Lors de cette interview, elle explique comment elle et ses collègues ont mené cette recherche et quels ont été les résultats obtenus.
Un véritable « dictionnaire » des vocalisations
Elle a créé un véritable « dictionnaire » des vocalisations des bonobos. Mais comment a-t-elle déterminé la signification potentielle de chaque appel ?
Pour répondre à cette question, la chercheuse a effectué un travail de terrain sur une période de huit mois dans la réserve de bonobos de Kokolopori, située en République démocratique du Congo. Elle a suivi trois groupes de bonobos habitués à la présence humaine, en enregistrant leurs vocalisations jusque dans leurs moindres détails, souvent sur plusieurs heures par jour. Lors de ces observations, elle notait systématiquement le contexte dans lequel chaque vocalisation était produite.
Lors de l’analyse, ce n’était pas uniquement le son qui comptait, mais aussi tout un ensemble de paramètres contextuels : la présence de nourriture, si l’individu était en train de manger, se nettoyer, se reposer, ou était approché par d’autres singes, si un nouveau membre venait de rejoindre le groupe, ou si l’assemblée était en train de se déplacer. En croisant ces contextes avec les vocalisations, Mélissa Berthet a pu déduire leur signification probable. Progressivement, cette méthode lui a permis d’établir une cartographie précise des vocalisations et de leur contexte d’utilisation, formant ainsi un vrai dictionnaire animalier.
Quelques exemples de significations
Est-il possible d’avoir quelques exemples concrets de ce que signifient ces vocalisations ?
Elle cite par exemple deux vocalisations, « yelp » et « piep ». Ces deux sons ont une fonction semblable : ils servent à demander aux autres de faire quelque chose. Cependant, leur nuance est différente : le « yelp » exprime plutôt une demande impérative comme « Faisons-le ! » ; le « piep » est plus discret, un peu comme un « Écoute, si tu veux, on pourrait faire… ».
Que communiquent réellement ces vocalisations ?
Ce qu’a révélé l’étude, c’est que la majorité des appels chez les bonobos servent à coordonner le comportement du groupe. La signification de ces vocalisations est souvent liée au maintien de la cohésion spatiale, ou à assurer que tous quelques membres restent engagés dans la même activité au même moment.
Ce comportement s’inscrit dans leur organisation sociale dite à fission-fusion, un système où le groupe principal se divise en sous-groupes plus petits le matin et se reforme en fin d’après-midi, de façon similaire à la façon dont les humains travaillent séparément en journée pour se retrouver le soir. Dans ce contexte, les vocalisations jouent un rôle clé pour que chaque individu reste synchronisé avec les autres et ainsi maintenir la cohésion sociale. Par exemple, certains appels peuvent signaler le début d’un déplacement ou l’appel à rejoindre un groupe distant.
Une capacité unique ou partagée avec d’autres espèces ?
L’un des principaux objectifs de cette recherche était d’évaluer si le bonobo possède la capacité de « combiner » ses vocalisations, c’est-à-dire la compositionalité. Cette aptitude, essentielle au langage humain, consiste en la fusion de plusieurs éléments de sens qui, assemblés, donnent un sens global différent de celui de chaque composant pris séparément.
Jusqu’à récemment, on pensait que cette propriété était strictement humaine ; jusqu’à ce que l’on découvre que certains oiseaux comme la mésange japonaise ou le garrulon brun du sud, ainsi que d’autres primates, sont capables de produire au moins une forme simple de combinaison vocale. La présence de cette capacité chez les chimpanzés laissait supposer que cet attribut pourrait aussi appartenir à nos ancêtres communs avec ces primates. Mais il était crucial de vérifier si cette propriété ne s’était pas développée indépendamment dans chaque lignée.
Quels sont les résultats ?
Les chercheurs ont fait une étonnante découverte : chez les bonobos, il n’y a pas une seule, mais quatre combinaisons différentes. Pour les identifier, ils ont d’abord estimé la signification de chaque vocalisation isolément, puis de leurs combinaisons, en analysant les contextes dans lesquels elles étaient produites. Pour qu’une association soit considérée comme réellement compositionaliste, elle devait respecter trois critères : chaque élément devait avoir un sens distinct, la combinaison devait produire une signification différente de la simple somme des sens individuels, et le sens global devait découler des parties.
Ils ont aussi distingué deux types de compositionalité : une version simple, où la signification des éléments s’additionne comme dans l’expression « ballerina blonde » (qui désigne une personne blonde, qui est aussi ballerine), et une version plus complexe, où un élément modifie le sens de l’autre (par exemple, « cattiva ballerina », c’est-à-dire une ballerine qui danse mal, où « cattiva » modifie « ballerina », mais ne décrit pas une ballerine mauvaise).
Les analyses ont montré que, pour trois des quatre combinaisons détectées, la signification ne pouvait pas être simplement obtenue par la somme des éléments ; elles correspondaient à une forme de compositionalité plus avancée, autrefois considérée comme unique à l’humain.
Des exemples concrets de combinaisons
Par exemple, un bonobo peut produire un léger « peep », signifiant « J’aimerais », suivi d’un sifflet qui indique « Restons ensemble ». Lorsqu’il s’agit de tensions sociales ou de conflits, cette paire de vocalisations peut avoir pour but de dire quelque chose comme « Restez calmes » ou « Je voudrais que nous restions unis ».
Un autre exemple : un appel signifiant « Prêtez-moi attention » et un autre, exprimant « excitation », sont utilisés simultanément lorsque un bonobo est agressé et sollicite de l’aide. Cela pourrait signifier : « Regardez-moi, je suis en danger », ou quelque chose de similaire. Ces découvertes montrent à quel point la communication de nos proches primates pourrait être plus sophistiquée qu’on ne le pensait jusque-là, partageant avec le langage humain une capacité jusqu’ici jugée exceptionnelle.