Le doigts dans la bouche n’est pas un vice, même à l’école
Punir un enfant, le moquer ou juger négativement son comportement dans ce domaine ne serait pas seulement inefficace, mais risquerait aussi d’aggraver la situation. Comprendre ce geste naturel et l’observer avec une certaine bienveillance permet d’accompagner l’enfant dans son développement, sans le stigmatiser ni lui faire sentir qu’il doit absolument changer ses habitudes.
Pourquoi les enfants se sucent-ils le pouce ?
J’ai moi-même découvert que ma fille se suçait le pouce lors d’une échographie morphologique. Dans le ventre de sa mère, le fœtus s’exerce déjà à la succion du pouce et à l’ingestion du liquide amniotique. Ces mouvements, observables dès le deuxième trimestre de grossesse, se perfectionnent vers le début du troisième trimestre, lorsque le bébé coordonne ces réflexes avec sa respiration. La succion est un réflexe vital, développé pour permettre au nouveau-né de se nourrir et de survivre, à une époque où il n’y avait pas d’alternatives comme la nutrition parentérale ou entérale.
Après la naissance, durant les premières semaines, la majorité des bébés ont du mal à porter leurs doigts à la bouche sans soutien du corps ou du cou—qu’il soit assuré par une écharpe ou par la position du parent. Ainsi, la succion du pouce est momentanément abandonnée, mais le besoin de succion reste puissant, surtout lors de l’allaitement, qui offre bien plus que la simple alimentation : chaleur, contact, réconfort, anticorps et facteurs de croissance.
Les raisons pour lesquelles un bébé reprend la succion du pouce vers le troisième ou le quatrième mois d’existence, lorsque ses capacités motrices le lui permettent, sont très proches de celles auxquelles répond la tétée ou la sucette.
Dès le début de leur vie, en explorant et en touchant leur environnement, les jeunes enfants passent principalement par la bouche pour percevoir le monde. Ce geste de succion agit comme un outil de perception, leur permettant de comprendre et d’appréhender leur univers. Parmi les principaux motifs de cette succion, on trouve le besoin de réconfort : le bébé utilise cette activité pour retrouver une certaine quiétude, pour calmer ses tensions ou ses états d’excitation. Lorsqu’il ressent un stress ou une nervosité, il a tendance à porter son pouce à la bouche de façon presque automatique pour réguler ses émotions.
Ce qui différencie la succion du pouce de celle avec une sucette, c’est l’accessibilité. Le bébé peut se sucer le pouce de lui-même chaque fois qu’il en ressent le besoin, ayant toujours cette possibilité à portée de main, sans dépendre d’un adulte pour lui donner ou lui proposer un objet. La succion du pouce constitue aussi un signal adressé à l’adulte : si un nourrisson porte son doigt à la bouche, c’est souvent le signe qu’il a besoin d’être nourri, ce qui motive la mère à l’approcher pour le mettre au sein.
La phase orale, durant laquelle l’enfant expérimente le monde par la bouche, s’étale approximativement de 3-4 mois jusqu’à 18-24 mois. Ensuite, le besoin de succion diminue peu à peu, normalement vers l’âge de 3-4 ans, lorsque l’enfant est généralement prêt à arrêter l’allaitement, la sucette et la succion du pouce. Cependant, dans certains cas, cette habitude peut perdurer jusqu’à l’entrée à l’école primaire, notamment en raison de la croissance des molaires permanentes, qui intervient vers six ans, ou quand le système immunitaire est totalement mature, permettant à l’enfant de se défendre seul contre les agents pathogènes.
Il est tout à fait normal que, dans les premières années, l’enfant utilise occasionnellement la succion comme un acte de consolation face à la fatigue ou à la frustration, ou pour se détendre avant de dormir. Sans inquiétude, ce comportement disparaîtra généralement de lui-même lorsque l’enfant en ressentira moins le besoin, sans intervention prématurée de la part des adultes.
Néanmoins, pour certains enfants, cette habitude peut devenir une forme de régulation émotionnelle persistante, pouvant continuer au-delà de six ans. Si elle devient routinière, la succion du pouce peut aussi s’intensifier en cas de boredom ou d’inactivité, lorsque l’enfant cherche un moyen de se distraire ou de calmer ses nerves. Il est alors pertinent d’étudier quelles conséquences peut avoir cette pratique à long terme, et comment accompagner le développement harmonieux de l’enfant.
Les conséquences de la succion du pouce
Les premiers risques liés à la succion du pouce concernent surtout la communication et la croissance. Par exemple, si les parents n’interprètent pas cette habitude comme un signal d’appel du nourrisson, ils pourraient négliger ses besoins en le laissant trop longtemps sans tétée, ce qui déséquilibrerait involontairement le mécanisme de demande de lait, critique pour une stimulation efficace du sein ou du biberon. Dans le cas où l’enfant se sert du pouce pour s’apaiser, il demeure important que les adultes comprennent cette manifestation comme une étape partagée par tous les jeunes enfants, et non comme un « vice » à éradiquer.
Cependant, si cette habitude perdure au-delà de six ans, elle peut avoir des répercussions significatives sur la santé bucco-dentaire et la morphologie maxillo-faciale. Contrairement à l’allaitement maternel, qui favorise le bon développement des mâchoires, la succion du pouce, surtout si elle est intensive, exerce une pression inappropriée sur le palais, les dents et la mandibule.
En effet, la succion sur le pouce ou la tétine entraîne une modification des muscles faciaux, qui diffère de la succion physiologique au sein. Les muscles impliqués dans cette pratique forcent la bouche dans des positions qui risquent de provoquer des malocclusions, des décalages dans l’alignement dentaire, ou encore des troubles de l’articulation temporo-mandibulaire. On observe ainsi que le positionnement incorrect des dents supérieures par rapport aux dents inférieures peut générer des désordres fonctionnels et morphologiques, nécessitant parfois une intervention orthodontique.
De plus, le palais, soumis à une pression constante et prolongée, peut devenir plus étroit ou présenter des déformations, notamment une cavité plus haute ou plus plate que la normale. Ce phénomène débute généralement vers l’âge de cinq ou six ans, lorsque le processus d’ossification du palais commence à se finaliser, la sutura palatine fusionnant complètement au-delà de la puberté. La succion fréquente et intense augmente ainsi le risque de déformations structurales, pouvant nécessiter un traitement correctif.
Les risques ne se limitent pas à l’esthétique. La succion prolongée peut entraîner des troubles respiratoires liés à des modifications des voies oro-pharyngées, des problèmes d’occlusion, une tension musculaire excessive, des céphalées, des difficultés à mastiquer, un nettoyage bucco-dentaire plus compliqué, ainsi qu’un risque infectieux accru en raison du contact fréquent des mains ou du pouce avec la salive et les germes qu’elle contient.
Certains pensent qu’il serait préférable d’introduire rapidement la sucette, pensant qu’un objet extérieur peut être plus facilement retiré avant l’âge de trois ans pour éviter ces risques. Pourtant, la recherche montre qu’il n’existe pas de sucette ou tétine « physiologique » capable d’éviter ces problèmes. De plus, leur utilisation est associée à une réduction de la fréquence et de la durée de la succion naturelle, ce qui peut raccourcir l’allaitement ou la durée de l’éveil alimentaire, contrairement à la succion du pouce, qui, elle, n’est pas directement liée à ces contraintes.
Dans la majorité des cas, une fois le besoin de succion satisfait, cette habitude s’éteint progressivement avec la croissance. Mais si ce n’est pas le cas, il est essentiel d’intervenir pour prévenir l’apparition de complications liées à cette pratique prolongée.
Comment faire cesser la succion du pouce ?
Une fois que l’on connaît mieux les motivations derrière ce geste, plutôt que de se demander comment empêcher l’enfant de se suçoter le pouce après six ans, il est plus pertinent d’explorer les raisons pour lesquelles il ressent encore le besoin de se réconforter par cette voie. Souvent, lorsque ce besoin demeure au-delà de l’âge de la scolarité, cela traduit un mal-être ou un stress que l’enfant n’a pas encore appris à gérer.
Si la succion a permis à l’enfant de satisfaire son besoin de réconfort durant ses premiers mois de vie, elle tend à s’estomper naturellement. Si elle persiste, cela peut révéler un malaise qui nécessite écoute et accompagnement.
Ce qu’il ne faut pas faire
Il est crucial de rappeler que le doigt dans la bouche n’est ni un vice ni une mauvaise habitude à stigmatiser, même à l’école élémentaire. Punir, ridiculiser ou critiquer ce comportement est non seulement inutile mais risquerait de dégrader la confiance en soi de l’enfant, en augmentant sa frustration et son anxiété. La majorité du temps, ce geste est une manière pour lui de se rassurer face à des difficultés.
Il est également déconseillé d’utiliser des méthodes qui visent à décourager la succion sans en traiter la cause profonde : appliquer des substances amères sur le doigt, étrangler les mains ou forcer l’enfant à arrêter brutalement. Ces approches peuvent renforcer le malaise et pousser l’enfant à trouver d’autres moyens de s’apaiser, parfois encore plus nocifs ou difficiles à contrôler.
Comment prévenir la succion du pouce ?
Il est généralement contre-productif de vouloir éliminer totalement cette habitude dans les premières années, où le besoin de succion est particulièrement intense. Plutôt que de rechercher une suppression pure et simple, il vaut mieux comprendre les raisons qui poussent l’enfant à sucer son doigt et lui proposer, en alternative, des activités pour occuper sa bouche ou ses mains : modelage avec de la pâte à modeler, activités plastiques ou artistiques comme la peinture, ou autres activités manuelles.
Il est primordial que ce soient l’enfant et ses propres décisions qui guident ces démarches. Le rôle des adultes est d’accompagner sans juger. En lui offrant soutien, écoute attentive, et confiance, on lui permet d’apprendre à gérer ses émotions et ses tensions de façon positive, sans avoir constamment recours à la succion.
L’écoute active et la compréhension des ressentis de l’enfant jouent un rôle central. En travaillant sur l’estime de soi et sur la capacité à reconnaître et accueillir ses émotions, l’enfant pourra progressivement développer ses propres stratégies d’autorégulation, rendant la succion du pouce inutile.
Que faire si la succion persiste après 6 ans ?
Si, malgré tout, l’enfant continue de sucer son pouce après l’âge de six ans, il est recommandé de consulter un spécialiste : pédiatre, orthodontiste ou psychologue spécialisé en périnatalité. Une approche pluridisciplinaire est souvent la plus efficace pour aborder tous les aspects du problème, aussi bien physique que psychologique, afin d’éviter d’éventuelles complications à long terme.
Ce soutien global permettra à l’enfant de retrouver son équilibre, d’éviter les séquelles bucco-dentaires et d’évoluer sereinement vers une autonomie affective et corporelle plus saine.